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Photo Julie Paquet: La bande des cinq, Équateur 1988



La cause et la santé des enfants et des jeunes dans le monde-leurs défis, leurs apprentissages, leurs maladies, leurs habitats, leurs croyance, leurs valeurs, etc. – sont au cœur des champs d’intervention de
Le monde est ailleurs qui profite directement de ses expertises interdisciplinaires pédiatriques et de son réseau de collaborateurs pour qui l’enfance est aussi un métier, un humanisme et également une responsabilité à partager.


Le monde est ailleurs intervient comme consultant à la fois avec les réseaux public et privé, et, dans certains cas, avec des particuliers qui nécessitent ponctuellement son expertise. Mémoires, tables de concertation, stratégies de communications ou de prévention ou de promotion ou d’éducation, bref, pour toute expertise nécessaire à un projet X dans les domaines de la périnatalité, de la première enfance, de l’enfance, de l’adolescence et de la jeunesse, et ce, quelque soit la discipline concernée-ergothérapie, nursing, santé publique, nutrition, etc.-, Le monde est ailleurs est partant.

 


MOCEAUX CHOISIS: INTERVIEWS

 

PARENTALITÉ

L’enfant roi est-il suédois?

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Par Sylvia Galipeau, journaliste,

Extrait de La Presse, 7 avril 2014

 

 

Incroyable, mais vrai. Le fameux modèle suédois, dont on aime tant vanter les mérites et auquel on aspire tous sur le plan social, aurait finalement une faille. Et non la moindre. Un psychiatre suédois sonne l'alarme: gare aux enfants-rois, écrit-il dans un livre-choc, à paraître en anglais sous peu. Comme quoi nous, les Québécois, n'avons finalement pas le monopole de cette bien vilaine monarchie. Bienvenue au pays des enfants-rois suédois.

 

«La Suède est-elle en train de créer une génération de petits cons?» Les médias ne sont pas tendres ces jours-ci avec le royaume de la social-démocratie. Pour cause: un psychiatre suédois, père de famille de surcroit, a publié une véritable petite bombe.

 

Comment les enfants ont pris le pouvoir, dont on attend une traduction anglaise dans l'année, ne ménage pas les parents de ce qu'on croyait jusqu'ici incarner le paradis sur terre des familles. «Petits cons», «mal élevés» et, surtout, «déçus de la vie», tels sont les qualificatifs que les médias britanniques, chinois, français ou américains attribuent du coup aux enfants nés au pays des garderies et des longs congés parentaux payés. Mais que s'est-il donc passé? Nous avons interrogé l'auteur, David Eberhard, père de six enfants de 1 à 17 ans, pour comprendre. Il voit trois grandes causes à cette bien malencontreuse dérive.

 

1- Le pays de la philosophie parentale unique

Promenez-vous dans les rues de Stockholm. Vous verrez des bambins partout, certes (la Suède a l'un des plus hauts taux de natalité d'Europe), mais surtout des bambins impolis, exigeants, insolents. C'est souvent eux qui décident du menu du souper, carrément des vacances d'été, dénonce le psychiatre David Eberhard. Ils choisissent l'heure de leur coucher et ne tolèrent pas qu'on les habille. En gros, ce sont eux qui décident. De tout. Comme de rien. Mais surtout de tout.

 

Pourquoi? Si la Suède est reconnue comme une pionnière en matière de défense des droits des enfants, ces droits vont aujourd'hui très loin, dénonce le psychiatre. Avec la popularité d'auteurs comme le Dr Spock, Penelope Leach et surtout Jesper Juul, le père de l'écoute active («Jesper Juul, l'auteur de Competent Child, a une influence énorme sur les parents suédois»), les parents n'ont plus le droit de punir leurs enfants. «Et je ne parle même pas de châtiments corporels, souligne le psychiatre. Un père a envoyé son enfant dans sa chambre 20 minutes, et il a été traîné en cour. Si un enfant a un mauvais comportement, il est interdit socialement, en Suède, de l'envoyer dans sa chambre! » Résultat? «Les parents n'ont aucun moyen de dire non à leurs enfants, dit-il. Et c'est là qu'on déraille.»

 

2- La culpabilité

Étrangement, ces mêmes parents, qui sont par ailleurs de grands adeptes de la théorie de l'attachement, ne passent pas énormément de temps avec leurs enfants. Ils sont en effet les premiers à les mettre en garderie dès 1 an (tous les bambins suédois ont une place attitrée en crèche, jusqu'à leur entrée à l'école). «C'est assez contradictoire», souligne le psychiatre.

 

La Suède a également un taux élevé de divorces, avoisinant les 50%, et bien des familles optent pour la garde partagée une semaine sur deux, poursuit le psychiatre. Conséquence? «Quand les parents sont enfin avec leurs enfants, ils se sentent coupables et s'assurent du coup que tout soit parfait. Ils leur offrent des bonbons, les trimballent partout, bref, se comportent en véritables parents hélicoptères.» Erreur, ajoute l'auteur: en élevant leurs enfants dans du coton, est-ce qu'ils les préparent pour la vie? Bonjour la désillusion, croit-il. «D'après les sondages suédois, oui, les jeunes enfants sont heureux. Mais les plus vieux? De moins en moins. Nous assistons à une croissance en flèche des tentatives de suicide, de troubles de l'anxiété et de troubles de comportement, notamment chez les garçons.»

 

3- Le mythe de la culture rebelle

La Suède se targue d'être marginale, d'élever des libres penseurs, bref, d'être un peuple plus «rock n' roll» que la moyenne. «C'est comme si nous étions fiers d'élever des enfants libres, rebelles, qui n'obéissent pas à leurs parents. Ce mythe est très fort en Suède, poursuit l'auteur. Malheureusement, depuis plusieurs années, les études démontrent que non seulement nos jeunes réussissent moins bien que les autres à l'école, ils sont même moins créatifs!» 

 

«On se prend un peu pour d'autres, conclut-il. On se croit meilleurs que les autres et on aimerait que tout le monde suive notre modèle. Mais à bien des égards, en terme de discipline et de philosophie parentale, c'est nous qui devrions suivre le reste du monde.»

 

Solution: le pouvoir aux parents

Le psychiatre est catégorique. Le meilleur expert n'est pas tel auteur ou tel docteur, mais bien le parent. Encore faut-il qu'il ait confiance en lui. C'est ce qu'il souhaite, en fin de compte, avec son livre : redonner le véritable pouvoir parental à ceux à qui il revient. «La famille n'est pas une démocratie et, quoi qu'on dise, l'enfant n'est pas un être compétent. Au contraire, il est par définition incompétent. La démocratie familiale ne fait finalement de bien à personne: ni aux enfants ni aux parents.» Est-ce la faute à la social-démocratie? «Une culture fière de sa conscience sociale peut facilement mélanger gentillesse et absence de règles. Mais selon moi, nous faisons fausse route. Ne pas avoir de règles, c'est tout sauf de la gentillesse. C'est une gentillesse perverse.»

 

Un enfant de riche

L'enfant-roi suédois est-il bien différent de l'enfant-roi québécois? Probablement pas. «First world problems», comme on dit...C'est un peu ce qui résume la pensée du pédiatre Jean-François Chicoine. «Le phénomène de l'enfant-roi, qu'on soit au Québec ou ailleurs, c'est un peu partout le même: dans les sociétés bien nanties où on a défini la parentalité, est né cet enfant-roi qui se nourrit d'indiscipline», explique le fameux pédiatre, avec sa verve habituelle. À quel point est-ce différent en Suède? «Je ne connais pas l'enfant-roi suédois, précise-t-il, mais dans une société bien nantie, où on a réglé certains problèmes, les parents ont tendance à être surinvestis.»

 

D'où la question, inévitable: l'enfant-roi est-il le produit de la social-démocratie? «Non, répond Jean-François Chicoine. Ça n'est pas parce qu'on donne de la place aux enfants dans une société qu'on en fait des enfants-rois.» Une dérive, alors? «Oui, la social-démocratie ouvre la porte à l'enfant-roi, concède-t-il. Une fois qu'on a tout fait pour les enfants, insiste-t-il, et que souvent, on en fait qu'un, ou deux, plus tardivement, on a tendance à se projeter dans nos enfants et à s'investir beaucoup plus.»

 

Paradoxe? Ces parents, eux aussi produits de la même social-démocratie, n'osent peut-être plus intervenir «parce qu'ils ne se sentent pas autorisés!», dénonce le pédiatre. «Ils ne se sentent pas autorisés à intervenir auprès d'enfants qu'ils ont trop peu vus au cours de la journée. Moins vous passez de temps avec quelqu'un, moins vous intervenez, dit-il. Que font-ils? Ils les gâtent.»

 

 

FAMILLE

Des enfants sans l'abri nucléaire de la famille

Entretien avec Dr Chicoine sur les contrecoups que la jeunesse aura à subir à cause de la hausse de l’éclatement des familles

2012

 

Par Mathieu Côté-Desjardins, éducateur & journaliste

Extrait d’Epoch Times, 05 novembre 2012

 

Les familles nucléaires conventionnelles sont en baisse au Québec. Les statistiques du dernier recensement (2011) publié par Statistique Canada il y a quelques jours viennent d'officialiser cette réalité. L'impact que cela occasionnerait chez les enfants pourrait être important. Entrevue sur la question avec Dr Jean-François Chicoine, pédiatre au Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine et directeur scientifique de la société Le monde est ailleurs.

 

Familles monoparentales en hausse

Le pédiatre est catégorique : l'enfant élevé par un seul parent est en quelque sorte moins libre parce qu'il a moins été en contact avec des modèles différents. «Souvent, le parent seul va avoir du mal à gérer les limites et va utiliser l'enfant comme un ami ou bien la relation ressemblera à celle d'un couple. Le rapport de parentalité sera de plus en plus flou.» Aux yeux du spécialiste, cela pourrait expliquer en partie l'augmentation des «Tanguy», ces jeunes qui vivent aux dépens de leurs parents.

 

Un portrait très clair se brosse pour Dr Chicoine lorsqu'il pense à l'effet de la famille monoparentale sur l'enfant. «On a pu avoir un bon exemple dans les rues avec le “printemps érable” que nous venons de vivre. La jeunesse qui en découle en est une qui est à la fois très dirigée, très stimulée, beaucoup plus que les générations précédentes. Elle a une multitude de possibilités et d'ouvertures devant elle mais, en même temps, elle se veut une jeunesse un peu “ogre” qui ne peut être freinée.»

 

«Que ce soit une seule personne, homme ou femme, qui élève l'enfant, cette personne a deux chapeaux  : elle procure la nourriture affective, la proximité (bercer, cajoler, réconforter, etc.) et, en même temps, elle a le devoir de séparer, d'éduquer, de dire “non”, de structurer, de montrer des limites à “l'ogre” qui naît en nous. Comme il y a un seul modèle imposé à l’enfant, ça lui donne moins de liberté de choix d'où sa propulsion à aller chercher, à crier et à clamer sa liberté.»

 

Familles recomposées

Lorsqu'on parle de familles recomposées, on parle forcément de séparation ou de divorce. Dès le départ, Dr Chicoine s'oppose au fait que l'enfant ait deux maisons avant l'âge de trois à six ans, ce qui créerait une perte de repère chez l’enfant. À la difficulté de changement de lieu, s’ajoute souvent l’intrusion de nouveaux conjoints. «Selon les enfants, ça peut apporter du positif comme du négatif, mais ça commence à faire une multiplication de modèles. On oublie souvent que ce n'est pas seulement un autre “adulte parental” qui apparaît. Cette troisième ou quatrième figure venant intervenir dans la vie de l'enfant possède aussi la plupart du temps sa propre fratrie. Ça fait beaucoup d'ajustements et d'habitude de vie à modifier, en plus d'avoir ses parents véritables.»

 

«Toute cette situation suppose que l'enfant a ce qu'il faut pour encaisser le tout, l'affectivité pour tenir bon, le talent pour suivre cette dynamique. Il peut s'adapter s'il a les capacités, mais un enfant qui serait déjà fragilisé pourrait moins bien s'y conformer», précise Dr Chicoine aussi professeur adjoint à l’Université de Montréal.

 

Transmission de valeurs menacée

Ces métamorphoses continuelles que connaissent les familles permettent-elles de transmettre convenablement les valeurs que l'on voudrait donner à nos enfants? «C'est très irrégulièrement transmis quand la culture des jeunes se complexifie par plusieurs personnes. Ça fait au total beaucoup de valeurs, sans compter tout le travail que l'enfant aura à faire pour arriver à mettre de l'ordre dans tout cela. Notez qu'il y a en plus bien des valeurs contradictoires s'il y a eu séparation, s'il y a eu dispute. Il y a eu sans doute des mésententes de la part des parents sur des terrains bien importants.»

 

 «Ce que les adultes ne comprennent pas aujourd'hui, c'est que l'enfant est capable de comprendre et de se concentrer sur une histoire importante avec un certain contexte. Il n'est pas capable de s'enligner sur quatre ou cinq et de les placer ensemble. Ça prend une possibilité d'abstraction qui va naître entre 11 et 14 ans. Avant cela, ce n'est pas assez logique pour lui.» C'est pour Dr Chicoine une évidence : la culture a précédé la cognition humaine. «On demande culturellement à des enfants de comprendre des choses que la nature biologique ne leur permet pas.»

 

Selon le pédiatre de renom, c'est entre les âges de 6 à 10 ans que l'on peut être actif dans la transmission de valeurs. «C'est un moment idéal pour expliquer des choses importantes aux enfants comme l'éthique, comment prendre soin de leur corps, le civisme, le racisme, l'intimidation, etc.»

 

J’habite chez mes parents

Selon Statistique Canada, le nombre de jeunes qui demeurent avec leurs parents à un âge tardif s’est stabilisé après avoir connu des montées notables lors des vingt dernières années. «Il y a de plus en plus d'enfants qui demeurent à la maison puisqu'ils ne sont pas capables de laisser leur parent [monoparental] seul. Ils se sentent responsables de leurs parents vieillissants.

 

«À partir du moment où il quitte le foyer familial, ce n'est pas pour partir vers de nouvelles aventures, c'est plutôt comme s'il brisait le couple, comme s'il détruisait la famille. C'est très difficile pour les enfants qui ont eu sur eux un seul regard. Il y a aussi une limite à ce que la statistique augmente!», lance en riant Dr Chicoine. Il précise parallèlement que la situation pourrait aussi être liée à un facteur économique.

 

«Une autre raison qui expliquerait ce mode de vie s'appliquant à plusieurs individus de cette génération est qu'ils ont probablement eu très peu de temps pour jouer à des activités libres jusqu'à sept et huit ans. On les a poussés, structurés et organisés beaucoup trop, et ce, dès la petite enfance. Cela a fait des personnes qui ont une capacité d'imagination et de créativité moins grande.»

 

Jean-François Chicoine parle, avec une certaine inquiétude dans la voix, de la conséquence pour les enfants n'ayant pas eu une stimulation plus lente et aérée. «Les enfants ont besoin de perdre du temps, sinon ils iront en chercher plus tard. Malheureusement, ce besoin tend à s'expérimenter à l'âge adulte avec une carte de crédit, contribuant ainsi à une forme de superficialité sociale, où la responsabilité globale est souvent absente. L'adolescence, dans ce qu'elle peut générer de négatif, a tout ce qu'il faut pour traîner un bon moment.»

 

 

ADOPTION

Adoption internationale: l'illusion du bébé parfait

2012

 

Par Baptiste Ricard, journaliste

Extrait de Le soleil, 7 janvier 2012

 

L'adoption internationale est devenue un interminable chemin de croix. Tellement, que Québec entend forcer les futurs parents qui rêvent de cueillir un poupon en des contrées lointaines à suivre une formation pour qu'ils sachent dans quel bateau ils embarquent. Entre le fantasme du bébé parfait de quelques mois et la complexe réalité des enfants disponibles, il y a un monde d'illusions à déconstruire.

 

«L'adoption internationale est à la croisée des chemins», déclare la directrice générale du Secrétariat à l'adoption internationale (SAI), Luce de Bellefeuille. La demande est toujours aussi forte, mais le nombre d'enfants jugés «adoptables» est en chute libre. Beaucoup de nouveau-nés trouvent maintenant une famille sur place, dans leur pays d'origine. Ces nations offrent donc aux adoptants de l'étranger de plus en plus de garçons et de fillettes plus vieux, souvent étiquetés «besoins spéciaux» (lire ici qu'ils cumulent des problèmes de santé physiques et psychologiques).

 

«Il est de plus en plus important que les parents soient préparés», enchaîne Mme de Bellefeuille. «L'idée, c'est qu'on ait un programme de base obligatoire.» Le SAI a d'ailleurs récemment organisé un colloque pour mettre la table. Cette formation, encore à définir, serait plutôt générale : «Le but, c'est d'allumer des lumières rouges pour que les gens puissent aller plus loin.»

 

Plus âgés et parfois handicapés

Spécialiste de l'adoption internationale, le Dr Jean-François Chicoine évalue toutefois qu'il faudrait un enseignement pointu. Il a d'ailleurs mis sur pied de tels cursus en Suisse et en Belgique et revient tout juste de livrer une série de conférences sur le sujet en France. Beaucoup d'adoptants élaborent une représentation idyllique de l'enfant à venir, regrette-t-il. Il y a encore des bébés disponibles, mais ils sont rares et il faut attendre cinq ans, six ans. La plupart des enfants seront plus âgés, fréquemment en fratrie, parfois handicapés.

 

Il importerait donc d'informer correctement les adoptants sur ce qu'impliquent des «besoins spéciaux», comme la surdité, une maladie chronique ou une amputation, jumelés à des troubles d'apprentissage, d'attachement et une carence affective. «Il faut les outiller à devenir des parents d'exception», réclame le Dr Chicoine, directeur de la clinique d'adoption et de santé internationale du centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, à Montréal. «Ça prend des compétences particulières et un gros portefeuille.» On évitera ainsi les ratés, comme cette femme qui n'a jamais touché son enfant adopté simplement parce qu'il a l'hépatite B. Ou cette mère monoparentale laissée à elle-même après avoir reçu, d'un coup, plusieurs frères et sœurs.

 

Les services sociaux et les écoles doivent aussi s'adapter, poursuit le pédiatre. Car tous ces nouveaux Québécois, et leurs parents, auront besoin de soins, d'écoute, d'encadrement.

 

«On arrive à une sorte de cul-de-sac. Ce n'est pas rose du tout, lance-t-il. C'est complètement changé, le monde de l'adoption depuis quelques années. C'est vraiment un autre monde.»

 

Malgré tout, le projet d'adoption demeure tout à fait réalisable, tempère le Dr Jean-François Chicoine. Les défis sont certes nombreux. «Ce qui n'empêche pas de super belles histoires.»

 

Espoir

«Il y a de l'espoir, il y a des solutions», poursuit la travailleuse sociale Johanne Lemieux, du Bureau de consultation en adoption de Québec. Nous l'avons jointe à son domicile, où elle s'est retirée quelques mois pour rédiger un nouveau livre traitant justement de la question qui nous intéresse. Elle est aussi formatrice pour les adoptants, avec le Dr Chicoine, au sein de l'organisme Le Monde est ailleurs

 

Au fait, elle a adopté trois enfants.

 

Entretien spécialisé

Les futurs parents ne doivent pas se décourager, ajoute-t-elle. La plupart des enfants adoptés en d'autres patries deviendront des enfants «normaux», quoi­qu'ils conserveront quelques «caractéristiques» que les autres n'ont pas. «Ils ont les mêmes besoins que les autres enfants, mais ils ont des "options" supplémentaires, ils ont besoin d'un entretien spécialisé.»

 

Papa, maman devront donc être tour à tour gardien de zoo (!), infirmière, travailleur social, psychoéducatrice, psychologue. «Ils ont été en malnutrition générale - affective, alimentaire, sensorielle -, ces enfants.»

 

«Le mythe que les bons soins et de l'amour règlent tout, c'est faux et archifaux», explique Johanne Lemieux. «Il faut que tu sois conscient que ça va prendre des connaissances supplémentaires pour soigner les blessures invisibles. [...] Ils vont avoir besoin de parents particulièrement disponibles et "connaissants".»

 

 

ADOPTION

Adoption internationale: moins d'enfants, et des délais qui s'étirent

2012

 

Par Baptiste Ricard, journaliste

Extrait de Le soleil, 7 janvier 2012

 

«J'ai de la difficulté à encourager des gens qui veulent adopter qui sont en début de processus. [...] Il faut être fait fort pour passer à travers.»

 

Le moins que l'on puisse dire, c'est que la présidente de la Fédération des parents adoptants du Québec, Claire-Marie Gagnon, en a gros sur le coeur. La tristesse noierait de plus en plus les espoirs et les joies des Québécois en quête d'un enfant du monde. Les couples écopent.

 

Durant les années 90, le Québec recevait quelque 1000 gamins par année, surtout d'Asie. Depuis cinq ans, la moyenne tourne autour de 500. Entre ces deux périodes, les normes internationales ont été resserrées. Les pays pourvoyeurs donnent maintenant la priorité à l'adoption locale au risque d'héberger les enfants plus longtemps en institution. En gardant leur progéniture à la maison, ils espèrent, notamment, préserver la culture des petits. «C'est quoi, la culture d'orphelinat? Il n'y a pas de culture dans un orphelinat», dénonce Mme Gagnon.

 

Le nombre d'enfants disponibles diminue, les délais s'étirent. Les adoptants plus patients poireautent donc des années pour accueillir un bébé. «Après cinq années, ce n'est plus le même couple qui va arriver avec un enfant. Pendant cinq ans, ils ont bloqué tous leurs projets pour attendre cet enfant-là. [Et], c'est rendu dans les 30 000 $. Quand les enfants finissent par arriver, les parents sont déjà au bout de leurs ressources.»

 

Les adoptants plus pressés s'ouvrent aux enfants «à besoins spéciaux»; ils sont handicapés, plus vieux, en fratrie ou malades. Ici, l'attente est réduite. «Les enfants qui sont offerts, ce sont des enfants dont les pays ne veulent plus ou dont ils ne peuvent s'occuper», déplore Claire-Marie Gagnon. Notre interlocutrice convient qu'adoption internationale rime toujours avec défis. «Mais il y a des défis insurmontables. Certains sont des puits sans fond d'exigences, de demandes, de soins.»

 

Aidants naturels

«Ce qu'on nous demande, c'est d'être beaucoup plus des professionnels de la santé. [...] On demande aux adoptants, maintenant, d'être des aidants naturels pour les enfants de l'étranger et d'être des thérapeutes parce qu'on impose des enfants avec des défis de plus en plus grands, évalue-t-elle. De plus en plus d'enfants sont déposés à la DPJ [Direction de la protection de la jeunesse].»

 

Après une vérification dans tous les centres jeunesse du Québec, leur porte-parole, Judith Laurier, ne peut confirmer : «On ne peut pas évaluer d'une façon significative qu'il y a plus de signalements qui proviennent d'enfants qui ont été adoptés à l'international que d'autres enfants.»

 

Les données scientifiques disponibles font état d'environ 5 % d'échecs d'adoption, d'enfants remis aux services sociaux ou placés en pensionnat parce que les adoptants ne savent plus à quel saint se vouer, tranche le Dr Jean-François Chicoine, directeur de la clinique d'adoption et de santé internationale du centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, sis dans la métropole.

 

Le royaume des rêves brisés, l'adoption internationale? Tandis que la plupart des adoptants attendent un nouveau-né «la tendance annoncée [...] est à l'effet que les enfants libres à l'adoption internationale sont et seront de plus en plus âgés, parfois en fratrie et présentant des besoins spéciaux physiques et psychologiques», confir­me le Secrétariat à l'adoption internationale dans un récent rapport. «Le phénomène peut nous amener à nous interroger sur l'adéquation entre les besoins des enfants présentés en adoption internationale et les attentes des adoptants québécois

 

 

ADOPTION

Adoption internationale: des enfants plus âgés et souvent handicapés

2011

 

Par Louise Leduc, journaliste

Extrait de La Presse, 6 avril 2011

 

Maintenant que les enfants qui peuvent être adoptés à l'étranger sont plus âgés qu'avant et souvent handicapés, la démarche des couples est plus périlleuse et compliquée que jamais, quand elle ne se conclut pas carrément par une prise en charge à la DPJ. Portrait d'une adoption internationale qui cherche à être éthique, mais dont le portrait n'est plus aussi rose qu'avant.

 

Ces derniers temps, il y a eu à peine 500 enfants adoptés annuellement par des Québécois à l'étranger, alors qu'il n'était pas rare d'en voir arriver près d'un millier dans les années 90. Qu'est-il arrivé? Le Dr Jean-François Chicoine, qui a le sens de la formule, résume la chose en quelques mots. «De nos jours, il y a suffisamment d'Indiens riches pour prendre en charge les bébés indiens.»

 

Les bébés très jeunes et en santé, s'entend.

 

Car depuis que le nombre de pays ayant adhéré à la convention de La Haye s'est multiplié, l'adoption nationale est de plus en plus répandue. En clair: un enfant indien - ou colombien ou russe - qui devient orphelin sera idéalement confié à un membre de sa famille élargie, ou à quelqu'un de son propre pays. Ce n'est qu'en dernier recours qu'il pourra être adopté à l'étranger.

Résultat: les enfants qui peuvent finalement être adoptés par des Québécois (ou des Français, ou des Américains) «sont plus âgés et présentent souvent de légers handicaps», explique Luce de Bellefeuille, directrice générale du Secrétariat québécois à l'adoption internationale.

 

«Il est important que les gens sachent que l'adoption internationale, ce n'est plus ce que c'était il y a 20 ans, ajoute-t-elle. Au Québec, les enfants adoptés à l'étranger ont maintenant en moyenne un peu plus de 3 ans.»

 

Rendus à cet âge-là, il est fort possible que les enfants aient été déplacés d'orphelinat en orphelinat, se soient attachés à plusieurs nounous pour comprendre enfin que ce n'est plus la peine d'aimer, et que c'est même dangereux. Quand on leur présente finalement une mère et un père, permanents et aimants, nombreux sont ceux qui n'arrivent tout simplement pas à s'attacher à eux et qui développent des problèmes de comportement souvent incontrôlables.

 

«Pour la majorité des enfants, être adopté, c'est la meilleure chose qui pouvait leur arriver. Leur malheur, ce n'est pas d'être adoptés, c'est d'avoir été abandonnés», résume la psychologue Diane Quevillon.

 

Il y a toujours eu de ces enfants qui souffrent de problèmes identitaires, «qui trouvent difficile de ne pas ressembler à leur famille, d'être la seule à avoir les yeux bridés, d'être incapable de parler leur langue d'origine, mais de nos jours, les enfants arrivent souvent avec des problèmes plus profonds», ajoute-t-elle.

 

Les parents adoptifs sont plus prévenus que jamais que les adoptions peuvent être délicates. N'empêche, ceux qui sont passés par là craignent que cette mise en garde soit insuffisante.

 

Sylvie raconte qu'en son temps, elle avait été avertie à propos d'éventuels problèmes psychologiques, notamment les problèmes d'attachement. Elle n'a rien voulu entendre. Avec tout l'amour qu'elle avait à donner, elle comptait régler rapidement ce petit problème d'attachement.

 

Erreur. «Une année, j'ai compté à mon agenda jusqu'à 51 rendez-vous de toutes sortes pour ma fille - le psychologue, le pédiatre, le pédopsychiatre, etc.»

 

Et ça ne s'est jamais arrangé. Ni les problèmes d'apprentissage, ni les problèmes d'attachement. L'enfant, absolument incapable d'entrer en relation avec les autres, s'est mise à cracher au visage des gens et est devenue de plus en plus intenable avec sa mère. Tout en lui répétant: «Tu sais, je t'aime, maman.»

 

Au bout du rouleau et après un arrêt de travail, Sylvie a fini par téléphoner à la DPJ, qui a eu tout autant de fil à retordre. «Les intervenantes avaient peur de ma fille», raconte Sylvie.

 

«On me dirait là, maintenant, que je devrais la reprendre que j'en tremblerais de tous mes membres. En même temps, d'avoir dû appeler la DPJ m'a fait très mal et mon deuil est loin d'être fini.»

 

Chantale a vécu pareil drame avec son fils né en Europe de l'Est. Comme Sylvie, elle est passée par les pédopsychiatres, les psychologues, même par un généticien. Le diagnostic est longtemps demeuré diffus et pour obtenir des services, elle a fait le parcours du combattant. Dans son cas aussi, les choses ont terriblement dégénéré, et son fils a dû être confié à la DPJ.

 

Josée, elle, le dit tout de go: avec sa fille, qu'elle a adoptée alors qu'elle avait 2 ans, elle n'a pas eu «une seule seconde de bonheur» tant étaient récurrentes les crises de colère et tant le retard mental était prononcé. Aujourd'hui, sa fille est placée dans un centre d'accueil. «Nous n'avons aucune idée de ce qui va arriver quand elle sera grande.»

 

Des cas exceptionnels? Ni le Secrétariat à l'adoption internationale ni la DPJ ne tiennent de statistiques sur le sujet.

 

En France, le pédopsychiatre Pierre Lévy-Soussan croit que 10% à 15% des familles n'arrivent pas à créer de liens avec l'enfant adopté. Les enfants sont alors soit confiés à des services sociaux, soit confiés à des tiers - un pensionnat, par exemple.

 

 

ADOPTION

Un bébé réservé pour 24 heures

2011

 

Par Louise Leduc, journaliste

Extrait de La Presse 6 avril 2011

 

Une fois par mois, pendant 24 heures, la Chine dresse la liste des enfants sur la touche qu'elle met en disponibilité de façon accélérée. C'est souvent ce à quoi s'en remettent les parents d'ici qui attendent depuis deux ou trois ans et qui veulent accélérer les choses. Les enfants peuvent être «réservés» pendant 24 heures. «Les parents ont 24 heures pour voir s'ils adopteront un enfant qui n'a qu'un rein ou qui n'a pas de jambe», explique le Dr Jean-François Chicoine.

 

Inutile de dire que les lundis matin sont occupés à la clinique du Dr Chicoine, spécialisée en adoption et en santé internationale. S'il est opposé à la pratique, le Dr Chicoine offre néanmoins son expertise.

 

En quelques heures, il aide les parents à voir ce que signifiera l'adoption de l'enfant qui pourrait leur être confié. Combien de chirurgies? Combien d'hospitalisations? L'enfant sera-t-il en mesure d'aller à l'école? «Parfois, les parents doivent déménager, parce qu'en région, ils n'auront pas les soins spécialisés dont leur enfant aura besoin. Il n'est pas rare que je leur dise de prévoir deux, trois ou quatre chirurgies dans l'année de l'arrivée.»

 

Le problème, c'est que même dans les grands centres, les ressources sont limitées. D'ailleurs, précise le Dr Chicoine, sa clinique, tout à fait débordée, n'accepte plus que les cas les plus lourds.

 

«La réalité n'a plus rien à voir avec celle des années 90. À cette époque, il y avait essentiellement deux groupes d'enfants: les petites Chinoises «du surnombre», qui arrivaient ici très jeunes et en bonne santé. À côté de cela, il y avait ces enfants d'Europe de l'Est qui avaient été mal nourris, qui présentaient souvent un syndrome d'alcoolisation foetale ou des troubles de l'attachement, du comportement ou un retard mental.»

 

«À l'époque, les problèmes de malnutrition ou de maladies infectieuses se réglaient assez bien. Aujourd'hui, avec les enfants plus vieux et plus lourdement handicapés qui nous arrivent, c'est autrement plus compliqué, autant sur le plan physique que psycho-affectif», s'inquiète le Dr Chicoine.

 

«La majorité des enfants s'en tirent bien, mais je dirais qu'un tiers des enfants adoptés, ces années-ci, requièrent beaucoup de services de santé.»

 

 

DROITS DES ENFANTS

Adoption Haïti: entre deux maux, lequel choisir?

2011

 

Par Louise Leduc, journaliste

Extrait de La Presse 6 avril 2011

 

Bon an mal an, Haïti était, pour le Québec, le deuxième ou le troisième pays d'origine des enfants adoptés à l'international. Depuis l'arrivée de 126 enfants adoptés sitôt après le tremblement de terre, il n'en arrive plus un seul ici. Le terrible dilemme se résume ainsi, dit le Dr Jean-François Chicoine: soit on risque de favoriser l'adoption d'un enfant qui a été acheté, soit on s'y refuse, quitte à ce que des enfants croupissent des années dans des orphelinats ou meurent avant d'être adoptés.

 

Pour le Dr Chicoine, pas question de risquer de près ou de loin de tremper dans le trafic d'enfants. Idem pour le Secrétariat québécois à l'adoption internationale dont la directrice générale, Luce de Bellefeuille, estime qu'il faut plutôt aider Haïti à repartir sur des bonnes bases et attendre qu'elle se dote d'une loi conforme à la convention de La Haye balisant les adoptions éthiques.

 

Claire-Marie Gagnon, chargée de cours à l'UQAM et présidente de la Fédération des parents adoptants du Québec, trouve que l'on charrie avec tous ces risques de trafic d'enfants. Car où est le marché, demande-t-elle, dans la mesure où avant même le tremblement de terre, des dizaines de milliers d'enfants se trouvaient déjà dans des orphelinats et que moins de 4000 bébés étaient alors adoptés annuellement?

 

De façon générale, Mme Gagnon se demande si, à force de vouloir respecter scrupuleusement certains principes, - la priorité donnée à l'adoption à l'intérieur de son pays d'origine - «on ne fait pas souffrir un enfant qui aurait besoin d'une famille».

 

«La convention de La Haye, avec la priorité donnée à l'adoption nationale, a pour effet pervers d'emmener des enfants à attendre quatre ou cinq ans dans des orphelinats avant d'être finalement admissibles à une adoption à l'étranger», dit Mme Gagnon.

 

La psychologue Diane Quevillon, qui voit beaucoup d'enfants adoptés dans sa pratique, observe pour sa part que le principe de l'adoption nationale presque à tout prix est mis en application «dans des pays où il n'y a pas de culture d'adoption d'enfants».

 

Chose certaine, les changements dans les façons de faire en adoption internationale ont eu le même effet un peu partout. Selon un bulletin du Service social international datant d'août 2009, les adoptions internationales sont en baisse aussi bien au Canada qu'aux États-Unis, en Allemagne, en Espagne qu'en Norvège. «Seuls la France ("3%) et l'Italie ("14%) enregistrent une croissance, peut-on lire, mais ces deux pays montrent une augmentation de la moyenne d'âge des enfants adoptés (...) à 5,6 ans en 2008 en Italie et l'Italie enregistre également une augmentation dans la proportion des adoptions de fratries (qui représentent) plus d'un quart des adoptions.»

 

Le nombre d'enfants disponibles est faible, et cela ne va pas sans amener une certaine pression sur les organismes qui se spécialisent dans l'adoption internationale.

 

Cela se traduit par l'obligation, pour ces organismes, de mettre en place des fondations visant à financer tel ou tel orphelinat, explique le Dr Chicoine. «Il commence à y avoir beaucoup d'argent dans l'humanitaire de l'adoption.»

 

 

ATTACHEMENT

Seul au monde

Entretien avec Johanne Lemieux

Par Renée Larochelle

2010

 

Le fil journal de la communauté universitaire, Université Laval

Volume 45, numéro 333 juin 2010

 

Un enfant présentant un trouble de l’attachement croit que nul ne peut le protéger dans la vie, sauf lui-même

 

Connaissez-vous le lien d’attachement? Il s’agit de ce lien affectif qu’établit le nourrisson avec la personne qui prend soin de lui, habituellement sa mère biologique. Il pleure, on le console. Il a faim, on le nourrit. Dès les premiers mois de son existence, le bébé apprend à faire confiance à l’adulte, à se sentir en sécurité. Chez l’enfant qui ne réussit pas à tisser ce cordon ombilical invisible, que ce soit parce que personne n’a répondu à ses cris de détresse ou encore parce qu’il a été victime de traumatismes précoces et récurrents, la vie commence un peu moins bien. Tel un matelot qui ne fait plus confiance au capitaine du bateau, mais qui a tout de même besoin du capitaine pour survivre, il prend les commandes, de peur de faire naufrage. «Ne pas faire confiance aux adultes est une question de vie ou de mort pour un enfant présentant un trouble de l’attachement», a expliqué Johanne Lemieux à l’occasion du 3e Congrès du Comité québécois sur les jeunes en difficulté de comportement qui eu lieu récemment à l’Université. Travailleuse sociale réputée dans le domaine, Johanne Lemieux rencontre depuis des années des enfants ayant souffert de mauvais soins, de négligence ou tout simplement d’indifférence lors de leurs premiers pas dans la vie et qui crient leur mal de vivre par de la manipulation, de la violence et de l’indiscipline.


Un bon contenant

«L’enfant au moi insécurisé croit que nul ne peut le protéger des dangers sauf lui-même, dit Johanne Lemieux. Dans cet esprit, le besoin de contrôler la relation ou la situation l’emporte sur le besoin d’être félicité ou sur celui de la peur d’être puni, et ce, même s’il a autant besoin d’être valorisé et puni qu’un autre enfant. Mais pour lui, obéir veut dire se montrer faible et vulnérable face un adulte à qui il ne fait pas ou plus confiance.» Contrairement à ce qu’on croit, un enfant souffrant du trouble de l’attachement peut aimer et se laisser aimer, mais il est incapable de remettre sa vie entre les mains des adultes qui prennent soin de lui. Sa perception du monde souffre de distorsion. C’est tout le contraire pour un enfant qui sent qu’il est un être important et qu’il vaut la peine qu’on prenne soin de lui.

 

S’il croit que les adultes sont des gens à qui on peut généralement faire confiance, l’enfant développera un modèle d’attachement sécurisé, de souligner Johanne Lemieux. «Le vrai test de l’attachement, c’est lorsqu’un enfant se casse la figure ou fait une erreur, constate la travailleuse sociale. Il doit savoir que se montrer faible et vulnérable n’est pas dangereux et qu’on ne cessera pas de l’aimer pour autant.» Comment rassurer cet enfant pour qu’il puisse aller de l’avant? Selon Sonia Lechasseur, psychologue-experte dans le domaine et autre conférencière au Congrès, il est essentiel que l’adulte qui accompagne l’enfant en trouble de l’attachement en comprenne bien les symptômes et puisse les décortiquer «pour faire du sens dans le non-sens». «L’adulte, sa disponibilité, sa confiance et son attitude sont des éléments déterminants d’un traitement efficace, explique Sonia Lechasseur. L’adulte doit être un bon contenant pour contenir son enfant et lui ouvrir les portes de sa vie.»

 

ADOPTION

Les orphelins haïtiens s'adapteront bien, croit le Dr Chicoine

2010

 

Par Katia Gagnon, journaliste

La presse, Qc, 5 avril 2010

 

 

 

 

 


 

 


 

 

 

 

 


En février dernier, le Dr Jean-François Chicoine a examiné 130 orphelins haïtiens recueillis par des familles québécoises après le tremblement de terre. Si les défis qui attendent les familles adoptives sont importants, la plupart de ces enfants finiront par s'en tirer plutôt bien, croit le pédiatre, spécialiste de l'adoption internationale.

 

Le médecin, qui a répondu à l'appel d'Immigration Canada et de Santé Québec, a mis la main à la pâte pour dispenser une première consultation médicale aux petits orphelins. «Je les ai vus quelques heures après leur arrivée. Ils étaient dans la réaction très primitive au choc», raconte-t-il. Huit d'entre eux ont dû être hospitalisés à cause de problèmes de santé. La plupart des enfants qu'il a vus souffraient de malnutrition et de parasites intestinaux.

 

«Mais une fois ces problèmes réglés, ce sont des enfants qui ont de grandes possibilités d'attachement parce que, souvent, ils ont passé les premiers mois de leur vie avec leur mère. Ils ont été abandonnés à 6, 7 mois. Ici, ils évoluent généralement bien.» Les orphelins haïtiens sont donc de meilleurs candidats à l'adoption que ceux qu'on recueille dans les orphelinats de l'Europe de l'Est, croit-il.

 

Mais pour ces enfants, l'adoption est un traumatisme beaucoup plus grand que le séisme, estime le pédiatre. «Le stress pour l'enfant, c'est plus l'adoption que le séisme. Sauf pour les plus vieux, qui ont vu des morts, pour les plus petits, la vie continuait après le tremblement de terre.» Face à un changement de pays, de domicile, face à de nouveaux parents, les enfants adoptés vivent un stress intense, auquel ils réagissent de façon très différente. Il y a trois grands types de réactions, que le pédiatre rassemble sous les trois f?: fight, flight ou freeze.

 

Les enfants de type fight sont habitués à l'adversité. Ils ont parfois été battus, ont subi des agressions. «Face à un stress, ils se défendent. Ils sont en panique totale.» Ces enfants font des crises, hurlent. Les enfants de tempérament flight, eux, ont vécu beaucoup de négligence. «Ils ne font pas vraiment confiance aux adultes, mais ne s'en méfient pas. Ils prennent ce qui passe. On les change de bras et ils s'adaptent.» Enfin, les enfants freeze vivent énormément d'anxiété. Ils ont perdu une figure d'attachement importante et ont tendance à pleurer beaucoup et à s'attacher aux bras de leurs parents adoptifs. Chez les petits Haïtiens, le Dr Chicoine a vu beaucoup d'enfants de tempérament flight, signe que ces enfants ont plutôt été laissés à eux-mêmes dans des orphelinats bondés.

 

Évidemment, les parents adoptifs doivent réagir en conséquence, en allant chercher l'attention, par exemple, des enfants qui ont tendance à fuir. «Prenez-le. Insistez pour tenir le biberon. Faites en sorte qu'il vous regarde en tétant. Il faut rendre l'enfant dépendant de ses parents. L'autonomie, à cet âge, ce n'est pas souhaitable.» Avec les enfants anxieux, les parents devront se faire rassurants, en insistant pour que l'enfant arrête de pleurer avant de le prendre. Des jeux comme la cachette sont souvent bénéfiques. Enfin, avec les enfants bagarreurs, les parents doivent rapidement imposer leurs limites. «Ne vous laissez pas frapper ou mordre. L'enfant ne vous respectera pas. Ces enfants ont besoin d'amour, mais aussi de discipline et d'encadrement.»

 

Les défis qui attendent les nouveaux parents sont donc importants. Le spécialiste croit d'ailleurs que tous les parents qui désirent adopter un enfant devraient suivre une formation obligatoire avant l'arrivée de leur enfant. «Ce sont des enfants différents, qui ont des besoins psychologiques particuliers.»

 

 

ADOPTION

Adoptés, puis abandonnés

2010

 

Par Dominique Forget, journaliste scientifique

Extrait de Magazine Enfants Québec, novembre 2010

 

Chaque année, au Québec, au moins un enfant adopté à l’étranger est abandonné par ses nouveaux parents. En avril dernier, un garçon d’origine russe qui avait été adopté aux États-Unis est reparti seul par avion à Moscou.

 

Sa mère adoptive lui avait acheté un billet aller simple et avait glissé une lettre dans son sac à dos, expliquant qu’elle ne voulait plus s’occuper de lui. Trop violent, le petit. Elle accusait l’orphelinat russe de l’avoir trompée sur l’état de santé psychologique de son enfant de 7 ans. D’où ce « retour à l’expéditeur ». La nouvelle a fait le tour de la planète et choqué l’opinion publique. Comment un adulte pouvait-il abandonner ainsi un enfant après l’avoir déraciné ? Les ruptures d’adoption — qui surviennent lorsqu’un parent renonce à s’occuper d’un enfant après l’avoir accueilli dans son foyer — sont rarement aussi médiatisées. Pourtant, elles sont plus fréquentes qu’on pourrait le croire. Y compris au Québec. Même si aucun enfant adopté à l’étranger par des parents québécois n’a jamais été renvoyé dans son pays d’origine, il arrive régulièrement que des petits venus du bout du monde soient abandonnés aux mains de la Direction de la protection de la jeunesse.

 

Un ou deux cas par an au Québec

Un ou deux cas par an pour la province, c’est le nombre moyen de ces abandons dont est informée Johanne Lemieux, une travailleuse sociale qui œuvre depuis une quinzaine d’années dans le milieu de l’adoption internationale. La DPJ est l’instance vers laquelle se tournent les parents adoptifs pour se défaire de l’enfant dont ils ne veulent plus. « Ce dernier est alors confi é au Centre jeunesse de sa région, qui est responsable de lui trouver un nouveau projet de vie : une autre famille ou un foyer de groupe, par exemple », explique Mme Lemieux. C’est justement parce que ces cas sont traités comme ceux de tous les autres dossiers d’abandon qu’il est impossible d’obtenir des chiffres précis sur les échecs d’adoption. Ainsi que le remarque Johanne Lemieux, il n’y a pas de petite case sur le formulaire où indiquer s’il s’agit d’un enfant qui avait été préalablement adopté. Donald Foidart, impliqué au sein de l’agence québécoise Formons une famille depuis sa fondation, il y a vingt ans se souvient de 8 échecs sur environ 4 000 adoptions réalisées par son organisation en partenariat avec la Chine, le Cambodge, les Philippines et le Vietnam. « Mais ce sont uniquement les cas dont nous avons eu connaissance, souligne-t-il. Car une fois la procédure terminée, les familles sortent de notre champ de vision. Il pourrait y avoir eu des échecs dont nous ne sommes pas au courant. » Les ruptures dont M. Foidart a été témoin sont pratiquement toutes survenues au cours des douze mois qui ont suivi l’arrivée de l’enfant. Dans un seul cas, l’abandon s’est produit après plusieurs années.

 

Des enfants aux besoins spéciaux

Comment expliquer qu’un couple dont les qualités parentales ont été évaluées par un psychologue ou un travailleur social abandonne un enfant qu’il a tant désiré et souvent attendu pendant des années ? « Plusieurs ingrédients sont nécessaires pour qu’une relation d’attachement se développe, dit Johanne Lemieux. Dans la grande majorité des cas, tout se passe très bien. Mais quand les choses se passent mal, alors là, elles tournent vraiment très mal. »

 

Les expériences antérieures de l’enfant jouent un rôle de premier plan dans l’évolution de cette relation d’attachement. « Plus il est âgé, plus il risque d’avoir accumulé des traumatismes, rappelle le Dr Jean-François Chicoine, pédiatre au CHU Sainte- Justine et spécialiste en adoption internationale. Son cas est comparable à celui de n’importe quel enfant abandonné chez nous et qui est ballotté d’une famille d’accueil à une autre. Parfois, la blessure est si profonde qu’elle n’est pas réparable. » Johanne Lemieux, qui a effectué des centaines d’évaluations psychosociales auprès de futurs parents adoptifs, renchérit. Elle entend souvent des couples lui assurer qu’ils ont tout l’amour du monde à donner. « Mais ils ne s’interrogent pas sur la capacité qu’aura l’enfant à recevoir cet amour. Ces parents s’engagent de bon coeur, mais avec beaucoup de naïveté. »

 

Être parent ou infirmier ?

Les médecins, psychologues et travailleurs sociaux craignent que le nombre de cas d’abandon augmente dans les années à venir. Car ils voient arriver au Québec de plus en plus d’enfants déjà grands, souvent traumatisés, adoptés à l’étranger. « Il y a maintenant moins de bébés proposés à l’adoption que de parents demandeurs, indique Johanne Lemieux. C’est une bonne nouvelle pour les enfants, mais on constate l’effet pervers de cette situation. Plusieurs parents trouvent les délais trop longs et, afin d’accélérer le processus, ils renoncent à adopter un enfant en bonne santé pour en accueillir un qui présente des “besoins spéciaux” — par exemple, qui est affligé d’une cardiopathie ou de troubles psychiatriques sévères. » Les parents qui acceptent d’adopter l’un de ces enfants le croient volontiers affecté d’un simple problème mécanique qu’ils pourront « réparer ». « Ce n’est pas cela du tout ! s’exclame Mme Lemieux. Plusieurs réalisent après coup qu’ils ne sont pas devenus parents, mais infirmiers à temps plein. » Évidemment, aucun enfant ne doit être laissé pour compte, même s’il souffre de troubles graves. Et d’après le Dr Jean-François Chicoine, n’importe quel enfant est adoptable. « Mais tout dépend par qui. »

 

Des parents mal préparés

Il arrive, hélas, que les parents soient mal préparés à l’adoption. Certains sous-estiment la blessure d’abandon que porte leur petit. « J’ai vu des parents qui avaient adopté un enfant d’âge scolaire et qui, parce que celui-ci allait entrer à l’école dès son arrivée au Canada, ont décidé de retourner travailler tous les deux, raconte Donald Foidart. Erreur ! Dans le cas d’un enfant qui intègre son nouveau foyer entre l’âge de 0 et 2 ans, on recommande qu’un parent reste à la maison pendant au minimum une année. Avec un enfant plus vieux, cette période doit être plus longue encore. L’enfant doit apprendre qu’il y a toujours quelqu’un qui est là pour lui, et sur qui il peut compter. Il ne s’agit pas d’un apprentissage intellectuel, mais émotif. »

 

Les travailleurs sociaux et les psychologues chargés des évaluations psychosociales ont beau faire de leur mieux pour déterminer les capacités des futurs parents à s’occuper d’un enfant, ils ne peuvent pas prévoir l’avenir. « Les parents se montrent sous leur meilleur jour quand on les rencontre pour quelques heures, et c’est bien normal », observe Johanne Lemieux.

 

Un manque d’aide extérieure

Défi supplémentaire : les parents d’enfants adoptés peuvent rarement profi ter de la sagesse populaire, contrai rement aux parents biologiques. « Si une femme allaite son bébé et qu’elle éprouve des diffi cultés, elle peut généralement appeler sa soeur, sa mère ou une amie, poursuit Mme Lemieux. Mais quand des parents ont affaire à un jeune qui cache de la nourriture dans ses poches ou qui se frappe la tête contre les murs parce qu’il ne comprend pas ce qui lui arrive, très peu de ressources s’offrent à eux. » Au Québec, seulement deux Centres de santé et de services sociaux (le CSSS Jeanne-Mance et le CSSS de l’Ouest-de-l ’Île, tous deux à Montréal) proposent des services spécialisés en adoption internationale. « Il s’agissait de projets pilotes lancés il y a plus de cinq ans et qui devaient s’étendre à l’ensemble du Québec, mais on attend encore », déplore la travailleuse sociale.

 

Les parents qui ont accès aux services de ces CSSS sont choyés : formation complète en préadoption, formation en postadoption, consultations individuelles, groupes de soutien, ateliers sur les troubles du sommeil, etc. « À ma connaissance, il n’y a jamais eu de cas de rupture d’adoption avec des parents qui avaient suivi nos formations », note Domenica Labasi, également travailleuse sociale et attachée au CSSS Jeanne-Mance.

 

Des pistes de solution En Belgique et au Luxembourg, les for mations en préadoption sont obligatoires depuis quelques années. « Qu’attend-on pour faire la même chose ici ? » demande le Dr Chicoine, qui tient régulièrement avec Johanne Lemieux des ateliers destinés aux psychologues et aux travailleurs sociaux belges et luxembourgeois, lesquels forment à leur tour les futurs adoptants. « Dans leurs pays respectifs, dit-il, les parents et les agences d’adoption ont vivement protesté lors de l’entrée en vigueur de cette mesure, mais plus personne ne conteste son importance aujourd’hui. »

 

Le Dr Jean-François Chicoine et Mme Johanne Lemieux croient aussi que les critères des évaluations psychosociales devraient être plus stricts pour les parents qui souhaitent adopter des enfants ayant des besoins spéciaux. « Pour l’instant, tout cela est très fl ou, dit celle-ci. En outre, les travailleurs sociaux et les psychologues n’ont pas toujours l’expérience nécessaire pour faire ces évaluations. La plupart n’ont jamais vu un enfant se mutiler ou être en proie à des crises de violence. Il est pratiquement impossible pour eux de jauger l’aptitude d’un couple à s’occuper d’un tel enfant. »

 

Le Dr Chicoine et Mme Lemieux souhaitent enfin que les dossiers médicaux des enfants soient systématiquement revus par un pédiatre, surtout dans le cas de ceux qui ont des besoins spéciaux. Pour l’heure, cette initiative est laissée à la discrétion des agences d’adoption. S’entendre dire par un pédiatre que la situation médicale de l’enfant proposé est particulièrement complexe ne dissuadera pas nécessairement les couples adoptants, selon Johanne Lemieux. « Quand on attend un enfant depuis des années et qu’on peut enfi n voir une photo, dit-elle, il faut beaucoup de courage pour dire non, même si l’on sent intérieurement qu’on n’a pas les capacités ou le désir d’assumer pareille charge. Mais au moins, les futurs parents sauront davantage ce qui les attend. »

SERVICES DE GARDE

Laisser son enfant en garderie, un crime?

2008

 

Jeux de société sur Canal-Vie

Une série télévisée animée par Joane Prince

Extrait du synopsis

Avec la participation de Jean-François Chicoine (UDM), Christa Japel (UQÀM) et Nathalie Bigras(UQÀM)

Canal vie, Qc, 2008

 

 

 

 

 


 

 

 


La garderie permettrait-elle un développement harmonieux des enfants? A-t-on raison de les y laisser cinq jours par semaine, 10 heures par jour? Seraient-ils plus heureux à la maison avec leur mère? Faudrait-il assouplir la structure de nos services de garde afin de permettre une fréquentation moins systématique? La publication du livre Le Bébé et l'eau du bain a fait couler beaucoup d'encre et troubler le sommeil de plusieurs. Après tout, c'est l'avenir de nos enfants qui serait en cause! Est-ce un crime de laisser son enfant en garderie.

 

Joane Prince nous propose un regard différent sur la vie, sur le monde qui nous entoure, sur les interactions et les tendances actuelles en ouvrant le débat sur des grandes questions sociales d'aujourd'hui.

 

Chaque matin, 65 % des enfants québécois de moins de quatre ans sont remis entre les mains de leur « gardienne » pendant que leurs parents partent au travail. 165 000 bambins prennent le chemin d'un Centre de la petite enfance (CPE). 35 000 autres fréquentent les garderies privées. Tous les autres se partagent entre le réseau de voisines, la gardienne à la maison ou grand-maman, et les haltes-garderies. Seulement 35 % des enfants resteront à la maison avec papa ou maman.


Au printemps dernier, en publiant un livre, le pédiatre Jean-François Chicoine a jeté un pavé dans la mare tranquille de nos services de garde. (…) Qu'est-ce qui est le mieux pour les parents, et surtout, qu'est-ce qui est le mieux pour les enfants? Voilà autant de questions que Joane Prince pose à des médecins, psychiatres, éducatrices de garderies et aussi à de jeunes mères concernées par la grande question : comment décider entre l'idéal et le possible?

 

 

PARENTALITÉ

Les parents cool

2008

 

par Marie-Claude Élie Morin, journaliste  

Extrait Magazine Jobboom, Vol. 9 no. 10 novembre-décembre 2008

 

 «Je suis exaspéré par la pression monstrueuse mise sur les parents pour qu’ils se plient sans fin aux besoins de leur enfant chéri», ajoute Neal Pollack, qui a poussé l’audace jusqu’à fonder un groupe rock alors que son fils était aux couches. Et dans Alternadad, il ne cache pas qu’il fume un pétard de temps en temps, ni son aversion pour la culture parentale perfectionniste.

 

Rien de neuf

Les parents cool ne plaisent pas à tout le monde, notamment à la chroniqueuse Leah McLaren, du Globe and Mail. «Les parents cool croient qu’ils sont les premiers à avoir décidé de conserver leur identité après avoir donné naissance. Ils croient que le fait que leur fils se trémousse au son de The Hives est révolutionnaire. Ils oublient que la génération précédente a fait la même chose en faisant jouer les Beatles», écrivait-elle au sujet d’Alternadad à la sortie du livre.

 

Le Dr Jean-François Chicoine, pédiatre au CHU Sainte-Justine, constate lui aussi que le phénomène des parents dans le vent n’est pas nouveau : «Les soixante-huitards et les baby-boomers aussi voulaient élever des enfants tout en restant cool, remarque-t-il. La nouvelle génération de parents est toutefois particulière parce qu’on dirait qu’ils sont restés adolescents plus longtemps que la génération précédente. Ils sont très attachés aux objets, aux bébelles, à la technologie. Ils ont de la difficulté à se sentir parfaitement investis dans leur rôle de parents sur le plan psychique.»

 

Pour bohèmes seulement?

Si Jean-François Chicoine s’inquiète de la fragilité du lien entre parents et enfants aujourd’hui, la mode des parents cool, elle, lui apparaît plutôt innocente et bien mineure. «On parle quand même d’un phénomène qui concerne les milieux urbains, aisés, plus intellectuels. Il y a des familles au Québec qui ne sont même pas rendues à la mode des légumes verts!» Cela dit, on trouve des parents cool ailleurs que sur le Plateau-Mont-Royal. Christine McGrath habite à Chambly et gère les affaires de trois restaurants sur la Rive-Sud. Elle est aussi la maman de Charlotte, 8 ans, et Alexandra, 12 ans. «Ce n’est pas parce que tu es mère que tu dois renoncer à te sentir jeune, belle et cool. Parfois, je suis même un peu trop cool au goût de mes enfants. Ma fille aînée était gênée l’autre jour devant ses amis parce que j’écoutais de la musique avec des grosses basses dans la voiture!» raconte-t-elle en riant.

 

Cool ou pas, les nouveaux parents ont au moins le mérite de braquer les projecteurs sur l’importance des enfants dans notre société. Jean-François Chicoine s’en réjouit : «Les enfants sont de mieux en mieux assumés publiquement. Dans les parcs, dans les restaurants, on ne cherche pas à les faire disparaître. L’allaitement se fait en public, il y a des projections de films pour les mamans avec des poupons. Les enfants apparaissent dans le discours politique. Il y a une certaine contamination de la parentalité dans la société.»

 

Et ça, c’est cool.

 

 

MOCEAU CHOISIS: PUBLICATIONS

 

 

DROITS DES ENFANTS

La scolarisation des filles: un objectif à ne pas manquer !

2007

 

Par Nadine Kabwe, pédiatre, Le monde est ailleurs,

4 décembre 2007, Sherbrooke, Qc, Canada

Extrait de Servicevie.com/Le monde est ailleurs      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Photo LMEA: Ecolier et écoliere, Oulan-Bator, Mongolie 2000

 


Partout dans le monde, il existe une corrélation entre l’indice de développement humain – la qualité de vie, en d’autres termes, et le statut des filles.  Moins les filles ont accès à l’école, plus le pays est pauvre. Femmes éduquées font moins d’enfants, mais des enfants en meilleure santé, et des familles plus prospères. Qui, alors, leur ferme au nez la porte des écoles ?

 

En 1990, s’est tenue à Jomtien en Thaïlande, la Conférence mondiale sur l’Éducation pour tous, ayant pour but d’universaliser l’enseignement primaire et de réduire l’analphabétisme.

 

Dix ans plus tard en 2000, à Dakar, six objectifs clés ont été définis pour répondre aux besoins d’apprentissage de tous les enfants. Un des objectifs visait la parité entre les sexes pour 2005.   Cette année-là, on aurait dû retrouver au moins autant de filles que de garçons sur les bancs des écoles primaires et secondaires.  

 

Malheureusement, plus de 90 pays n’ont pas atteint cet objectif.

 

Filles privées d’un droit fondamental

En Afrique Sub-saharienne, l’indice de parité entre les sexes dans l’enseignement au primaire est de 0,86 en 2005 (un IPS de 1 indique une parité entre les sexes), soit l’écart entre les sexes le plus important de toutes les régions du monde. Le taux de scolarisation des garçons est dans la majorité des cas supérieur à celui des filles.

 

Au Bénin, pays d’Afrique de l’Ouest, le taux des garçons scolarisés dépasse de 20% celui des filles. Dans pays, qui jouit pourtant d’une stabilité politique et économique, à peine 50 % des files fréquentent l’école primaire. La moitié des filles du pays est privée du droit fondamental à l’éducation.

 

Plusieurs éléments peuvent expliquer ce phénomène. Les filles restent souvent à la maison en raison de la pauvreté et des frais élevés de scolarisation. Certains parents considèrent inutile l’éducation des filles, qui sont bien plus utiles, selon eux,  aux tâches domestiques ; le manque d’infrastructures et d’équipements ne fait qu’aggraver la situation.

 

Par contraste, dans quelques pays d’Afrique australe et d’Afrique de l’Est, comme la Namibie, le Lesotho, le Malawi, les îles Maurice et la Zambie, il existe une légère différence dans les taux de scolarisation entre les sexes et ce, à l’avantage des filles ; dans ces pays, les garçons participent traditionnellement à l’élevage du bétail, au détriment de leurs études.

 

Pour que l’Afrique se rattrape

Il reste encore beaucoup à faire pour scolariser les filles dans le monde. Les diverses institutions internationales (UNESCO, UNICEF, Banque Mondiale) l’ont compris. Un plan d’action global a été mis en place pour favoriser une meilleure cohésion dans l’action des divers organismes impliqués. Ce plan prévoit qu’un grand nombre de pays, principalement en Afrique, puissent atteindre en 2015 l’objectif manqué en 2005 de parité entre les sexes.

 

Des avantages pour tout le monde

Les avantages de la scolarisation des filles ne relèvent pas de l’abstraction théorique : c’est toute la société qui en bénéficie. 

 

Une fille instruite deviendra une mère instruite qui à son tour aura plus de chance d’envoyer ses filles à l’école. Une mère instruite est plus consciente des nécessités de la vaccination pour ses enfants ; elle est connaît mieux les risques du VIH/Sida, elle assure une alimentation plus équilibrée à sa famille,  elle  participe aux prises de décisions politiques  et à la vie économique de son pays.

 

L’objectif de la parité entre les sexes au niveau de l’enseignement primaire doit demeurer une priorité aux yeux de toute la communauté internationale. 

 

SOURCES

 

UNESCO : http://portal.unesco.org/education

World health statistics 2007. Geneva : World Health Organization www.who.int/whosis/en/

 

Note: Indice de parité entre les sexes (IPS) : Rapport entre la valeur correspondant au sexe féminin et celle correspondant au sexe masculin pour un indicateur donné. Un IPS de 1 indique une parité entre les sexes

 

 

SANTÉ DENTAIRE

Quand la première visite chez le dentiste ?

2007

 

Par Hélène Buithieu, d.m.d. M.S.D., dentiste pédiatrique

Montréal, Québec, Canada.

Avec Le monde est ailleurs

Dernière révision : 12 décembre 2007

Extrait de Servicevie.com/Le monde est ailleurs    

 

Des parents, des pédiatres et meme des dentistes retiennent  deux critères pour prendre un premier rendez-vous avec le dentiste : que l’enfant ait toutes ses dents primaires (environ trois ans), ou qu’il soit capable de s’asseoir et de rester tranquille sur la chaise du dentiste.  J’ai une meilleure idée encore :  premier rendez-vous à un an !  

 

Retarder la première visite chez le dentiste, c’est courir le risque de laisser se détériorer la santé bucco-dentaire de votre enfant. Parmi les maladies chroniques les plus prévalentes dans le monde, il y a la carie dentaire et les maladies des gencives et des os soutenant les dents (parodontopathie).

 

Selon l’OMS, 60 à 90% des enfants scolarisés dans le monde ont des caries ; la gingivite (gencives rouges qui saignent), présente chez presque tous les enfants, peut évoluer vers les premiers stades de parodontopathies chez le jeune adulte et dégénérer en parodontopathose sévère conduisant à la perte prématurée de la dentition. Il faut alors choisir entre souffrance inutile et baisse de qualité de vie d’une part, ou facture de dentiste épicée de l’autre. Pour éviter l’une ou l’autre de ces fâcheuses évolutions, mieux vaut opter pour « La Première Visite au Premier Anniversaire» : c’est efficace, c’est endossé par plusieurs organismes de santé publique, aussi, au Québec, c’est entièrement couvert par l’Assurance-Maladie. 

 

Que se passera-t-il lors de cette première visite?

Lors de cette première rencontre, soyez préparé à réviser avec le dentiste, la période prénatale, périnatale et post-natale de votre enfant : avez-vous pris des médicaments  depuis sa naissance? S’endort-il avec le biberon ou le sein dans la bouche ? Tous ces faits sont susceptibles d’influencer le développement bucco-dentaire de votre enfant.

 

La carie n’est pas le seul élément que les parents devraient connaître au sujet de la santé dentaire de leur enfant. Cette première visite leur permettra de s’informer sur les méthodes d’hygiène orale, l’utilisation appropriée du fluor, le contrôle des habitudes orales (suces, succion digitale, grincement des dents), le développement bucco-dentaire, l’occlusion dentaire, la prévention des traumas bucco-dentaires, et les effets de l’alimentation sur la dentition. Une bonne connaissance de l’histoire médicale et dentaire de votre enfant permettra d’évaluer le risque de développer des maladies buccodentaires.

L’examen clinique à cet âge est fréquemment fait en position genou contre genou, où le parent et le dentiste sont assis face à face, avec l’enfant couché sur leurs genoux, la tête reposant entre les genoux du dentiste. Souvent les enfants sont subjugués et dociles, parfois ils apprécient la procédure et collaborent volontiers, mais ne vous étonnez pas si votre enfant pleure durant l’examen et la démonstration de brossage dentaire.  Parfois, le dentiste peut procéder à un nettoyage des dents, particulièrement s’il y a des taches ou des dépôts et suggérer une application topique de fluor, si l’enfant est à haut risque de développer des caries.

 

Ainsi, après cette première visite, le dentiste vous proposera un plan d’action individuel approprié à l’évaluation du risque et aux besoins de votre enfant. 

 

De ce plan, découleront des habitudes qui lui procureront une bonne santé buccodentaire, élément essentiel de sa santé globale et de son développement harmonieux.

 

SOURCES

 

www.aapd.org/media/policies.asp

www.who.int/mediacentre/news/releases/2004/pr15/fr/

 

 

HUMANITAIRE

Nguyen Van Hoan : de l’action familiale à l’action sociale

2004

 

Par Jean-François Chicoine, pédiatre

Québec, Canada, 2004

www.meanomadis.com: voir projet Tre Em: les enfants en difficulté du Vietnam

 

 

 

 

 



 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

Photo LMEA Hoan & Rémi, Vietnam 2004

 


Hoan est un homme de Hué : discret, franc, proche des traditions, comme la silhouette d’une ancienne capitale impériale.  Il est à la fois mari, père, beau-fils et beau-frère appelé à lier la sauce d’une sauce d’une maison familiale si élargie qu’elle compte plusieurs pavillons sur le même bout de terrain du centre-ville. 

 

Le bâtiment qui donne à l’avant sur la rue animée, est une petite échoppe vietnamienne classique avec à vendre coca, billets de loto et cachous en masse.  Le commerce est tenu par une belle-sœur de Hoan.  Durant les deux jours que nous avons partagés avec la famille, elle est demeurée scotchée sur un soap chinois où s’affrontaient des guerriers féodaux lyriques, mais enragés.  À ses côtés, une vieille qui ne nous a pas été présentée et son enfant trisomique, qui le lendemain de notre arrivée, devait crier avec le coq, de bon matin.


« En avez-vous entendu parlé ? »

La petite maisonnette de l’arrière est celle d’un beau-frère et donne directement sur la rivière aux parfums.  Sur ce cours d’eau circulaient les empereurs Nguyen,  jusqu’à l’abdication du dernier, Bao Dai, en 1945.  Aujourd’hui c’est encore la parade : sampan, bateaux d’excursions vers la pagode de la Dame Céleste, barque de pêche et sabliers.  Du sable, beaucoup de sable est transporté sur la rivière aux parfums.  Les enfants travaillent jeunes, très jeunes dans les familles de marchands de sable.  Ils plongent au fond de la rivière munis de sac en osier, grattent le fond et remontent à la surface avec l’équivalent de quelques pelletées.   Cent fois par jour.  « Souvent ils se noient», raconte Loan, l’interprète qui fait le pont entre Hoan et nous.  La noyade est d’ailleurs un thème majeur dans l’ex-cité impériale, souvent inondée par les déluges de septembre.  Ainsi, de nombreux orphelins que nous croiserons auront vu leurs parents se noyer.  Septembre 1999 aura été une hécatombe . « En avez-vous entendu parlé ? », demande Loan.  Nous répondons honnêtement : « non ».


Son cœur bouddhiste

La pièce maîtresse du pavillon principal de la maisonnée de Hoan est aussi le centre vital de la famille.  Son cœur bouddhiste, en quelque sorte.  Là se trouvent quatre autels en hommage aux ancêtres.  Les proportions sont généreuses, de quoi faire une bonne salle de télévision, pensais-je.  Sur l’un de ces autels, une urne argentée contient les centres de l’arrière-grand-mère de la femme de Hoan.  Elle nous est présentée comme si elle était vivante.  Devant cet autel, se trouve le lit du grand-père, son beau-père, 84 ans, fervent fidèle du Bouddha, mystique on pourrait dire, mais également truculent à ses heures, selon les cycles du temps et de son tempérament.  Avec Hoan, il est venu nous chercher à l’aéroport.  Le destin a fait que nous nous sommes trouvés sur son chemin.  Bel homme à 20 ans, les photos de jeunesse de grand-père sont alignées sur le côté de l’autel, parmi les fruits, les lampions, les statuettes, les gris-gris et un Bouddha du bonheur, obèse et musical.  Il fonctionne à batteries, grand-père nous l’a prouvé en actionnant la manivelle. 

 

Hoan aime son beau-père, il en est le prolongement naturel, le moteur au quotidien, la petite main sur le réel.  Hoan travaille au département administratif du centre de formation de l’Université de Hué.  Au-delà de la tradition, c’est aussi un homme vif, énergique, dynamique et pratique.  Grand-père et lui forment une sorte de lien entre le macrocosme et le microcosme.  Grand-père et lui, c’est tout le Vietnam d’hier propulsé dans une décennie à peine dans ce qu’il est devenu aujourd’hui.  Décidément, le bouddhisme a vu juste pour le pays.  La place du Christ crucifié est occupée dans le panthéon d’une pagode par trois précieux bouddhas :  Amitabha, le bouddha du passé pour grand-père, Sakyamuni, celui du présent, pour Hoan, et Maitreya, le bouddha du futur pour le fils de Hoan, 8-9 ans.

 

Nous avons peu parlé du fils : c’est qu’il est déjà allé jouer dehors quand nous quittons pour la visite d’un premier orphelinat. Dans une pagode justement.  Dieu que la journée a du sens !

 

Entre grand-père et Hoan, notre visite a atteint ici ce qu’il conviendrait d’appeler : l’incontournable.

 

Chez la bonzesse

Il pleut des clous. Les bananiers sont écrasés sous les torrents. Il y a la brume qu’il faut pour que le regard s’estompe au profit de l’ouïe. On entend des Gong, gong, gong, l’annonce d’une célébration quelconque. Nous sommes ailleurs, notre voiture s’arrête à une pagode ancienne, moussue, humide, secrète ; truffée d’enfants, rasés et pieds nus. On croit rêver. C’est exactement comme on se l’imagine : sur terre, mais dans un nuage.

 

J’ai visité des centaines d’orphelinats, mais c’était là ma première incursion en territoire purement bouddhiste. Visiter une pagode bondée d’orphelins ; pouvoir y pénétrer en toute humilité sous les bonnes grâces d’une bonzesse amie de la famille ; pouvoir y poser des questions avec la grâce (passagère en ce qui me concerne) de ne plus attendre de réponses, c’était une chance unique, inestimable.

 

Grand-père, Hoan et cette bonzesse qui nous accueille se connaissent depuis des lustres. Des années que la famille et la communauté font route commune. Ainsi nos questionnements, les photographies que nous prenons, les échanges que nous provoquons avec la centaine d’enfants et d’adolescents du temple, tout est prodigieusement facilité. Les actions de nos hôtes sont ainsi en continuité directe avec la nôtre.

 

La bonzesse insiste sur la bonté immatérielle qui nous unit. Je veux bien : c’est sa lecture, sa croyance, son espoir. En ce qui me concerne, cette bonté a d’abord une figure humaine, c’est celle de Hoan  qui nous fait ce jour-là l’amitié de pénétrer dans son monde, dans son territoire d’actions caritatives. Avec la bénédiction de grand-père par-dessus le marché. La visite de la pagode est suivie de celle d’un centre pour enfants de la rue : un autre îlot hors du monde. On y fait du pain pour survivre. Corps et âme, tout est nourri.

 

Entre Montréal et la bonté, Hué donc : un passage obligé. On appelle ça collaborer. Merci Hoan pour ces deux belles journées. C’est toi, de toi dont la bonzesse parlait : tu es la bonté même.


En autant qu'elle puisse s'incarner.

 

DROITS DES ENFANTS

Et le bébé chinois ?

2001

 

Par Jean-Francois Chicoine

Paediatric and Child Health, mai / juin vol 6 no 5, 2001

Diffusion WEB 2004, Canada

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

Photo LMEA À l'orphelinat, Chine 2000

 


Si tu veux vivre avec cette... fatalité, il n'y a qu'une ressource : c'est de la transmettre. 

André Malraux – La condition humaine

 

Et bébé chinois? La question est si complexe pour l'intelligence humaine qu'on aimerait pouvoir y répondre par l'absurde : il se coiffe toujours de la même façon! Mais encore? Comment se fait-il qu'il soit encore si souvent avorté, le bébé chinois? Tué? Ou abandonné? Ou encore adopté dans un pays étranger?

 

Crime ou nécessité? Droits de l'enfant ou politiques imposées par la collectivité? La tradition chinoise préférant les bonnes questions aux mauvaises réponses, la planète entière se trouve dès lors mal placée pour répondre. Mais le pédiatre est à sa place quand il pose des questions.

 

Se préoccuper des affaires humaines, c'est son affaire professionnelle en tant que défenseur des droits des enfants et de leur famille. Dans un sens plus largement civique, c'est également sa responsabilité en tant qu'intellectuel capable d'éclairer des vérités concernant les droits humains, moins par ingérence que par ouverture d'esprit ou propension à l'action.

 

Depuis 1989, près de 3 000 enfants adoptés en Chine ont été examinés à la Clinique de santé internationale au CHU mère-enfant de l'Hôpital Sainte-Justine. Plus de 99 % de ces enfants chinois étaient chinoises. La pratique clinique, l'enseignement et la recherche scientifique en milieu universitaire commandent ainsi des réflexions qui dépassent le cadre traditionnel de pratique. C'est ce que cet article propose justement : une réflexion qui convient à la pédiatrie qui est et science et humanisme.

 

La loi du nombre

La démographie chinoise est plus hydre que dragon. Il suffit de traverser la Chine, même vite, pour se rendre compte de la multitude. Au XIIIe siècle, ils sont déjà 100 millions. Quand Mao Zedong est élu président de la République en octobre 1949, il hérite d'un bon 550 millions de sujets, déjà une large part de l'humanité souffrante. Et comme si c'était insuffisant, dans les quatre décennies qui vont suivre, le nombre de bouches à nourrir va doubler, malgré la plus grande famine du siècle qui emporte en Chine, en 1959-1960, autour de quarante millions de têtes. De fait, on dénombre actuellement en Chine 1,3 milliard de Chinois, sans compter ceux qui n'ont jamais été déclarés aux autorités, soit près du quart de la population mondiale en l'an 2000, avec un effectif impressionnant de vieillards mais, en chiffre absolu, des quantités encore plus incroyables de bébés, dont une proportion troublante de garçons. Une génération de fils uniques!

 

Vers la fin de 1995, on aurait recensé en Chine 118,5 hommes pour 100 femmes. En d'autres mots, un Chinois sur six ne trouvera pas de fiancée dans les années à venir. Cette curieuse observation génétique n'a pourtant rien d'étonnant : la surabondance de futurs célibataires mâles privés de frères, de sœurs, d'oncles, de tantes, de cousins et, qui plus est, de cousines, constitue en quelque sorte l'effet yang de la politique de l'enfant unique sur le démantèlement de la cellule familiale chinoise. L'effet yin, si on peut dire, donne pour sa part du fil à retordre aux valeurs fondamentales de la culture humaine.

 

Comment supporter le destin des petites Chinoises avortées prématurément sous appareillage échographique, tuées par leurs parents, nées sans acte de naissance ou encore abandonnées et, en bout de course, pour une très faible minorité d'entre elles, adoptées à l'étranger? En relativisant, sous prétexte de culture? En calculant, sous prétexte de démographie? Le sort du yin dans l'empire du Milieu serait-il effectivement le tribut payé par le peuple pour lutter contre un étranglement des populations? « En attendant que le nombre devienne une chance, écrivait Peyrefitte, il commence par être une malédiction ». Mais encore une fois, à l'instar de l'analphabétisme et de la pauvreté, la malchance est féminine.

 

Garçon ou fille, le bébé chinois en a vu d'autres : des famines, des dysenteries et des révolutions lui chipant ses parents et sa famille. Néanmoins, et pour cause, c'est le destin du bébé fille qui marque encore les idées, les éditoriaux et la conscience du monde entier. La naissance d'un enfant mâle étant une bénédiction, comment pardonner que la venue d'un nouveau-né de sexe féminin soit encore perçue comme une calamité?

 

Et plus que jamais depuis vingt ans, conséquence d'une ouverture sur le marché technologique et de la production nationale de plus de 10 000 appareils d'échographie par année, les avortements sélectifs de bébés filles ont repris du poil de la bête. Doit-on s'indigner, au risque de voir la Chine se refermer comme une huître? Doit-on se taire et donner raison à la Chine sur toute la ligne?

 

La loi sur le mariage

Voyons l'histoire : pendant les premières années du régime communiste, les autorités en place luttent vigoureusement pour réduire la mortalité, favorisant ainsi la croissance fulgurante d'une population déjà innombrable. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, pas question à l'époque de limiter les naissances ; c'est même tout le contraire. Mao lui-même aurait déclaré à plusieurs reprises que la multitude et les bras étaient les plus grands atouts des Chinois : grande reproduction, grande armée, grande puissance! La loi du 1er mai 1953, dite « loi sur le mariage », explique d'ailleurs clairement la position de son gouvernement contre l'infanticide traditionnel. De fait, jusqu'à cette date, la noyade des nouveau-nés – tout particulièrement celle des bébés filles – n'était pas rare en Chine, « à moins qu'ils ne fussent abandonnés au bord de la route, jetés au cochon ou vendus ».

 

Les voyageurs anglais du XVIIIe siècle ne cachaient d'ailleurs pas leur perplexité devant les tueries de nouveau-nés : « L'habitude semble avoir appris que l'existence à son aurore peut être sacrifiée sans scrupule. » L'infanticide n'étant pas interdit, on laissait faire, simplement. La loi de 1953 précise donc pour une première fois en Chine que les parents ont le devoir d'élever leurs enfants, qu'ils ne doivent ni les maltraiter, ni les abandonner et qu'il est strictement interdit de les noyer.

 

Mao, on le sait, a toujours entretenu des rapports conflictuels avec la culture. Sa révolution des années 1960 a eu des conséquences désastreuses sur la liberté et les vies humaines. Mais attention, certaines de ses intentions initiales étaient sensées, voire chevaleresques. Mao demeure longtemps persuadé qu'une jeunesse nombreuse est, pour une nation, un atout incomparable. Extirper la Chine des pratiques barbares et convaincre la société que la procréation est une bonne chose constituent très clairement, avant 1953, la voie privilégiée par son gouvernement. C'est alors qu'un premier recensement officiel confronte de plein fouet sa dynastie rouge à une évidence dorénavant incontournable : baby boom démesuré et économie font un ménage difficile. À l'époque, il s'en trouve même pour expliquer les retards industriels de la Chine par la surabondance de main-d'œuvre humaine à bon marché. À quoi bon, pense-t-on, imaginer et vendre des machines quand on n'a pas à lésiner sur le labeur des hommes – et des enfants!

 

Dès 1954, lui et ses dirigeants chinois vont donc effectuer un véritable changement de cap en instaurant une première campagne en faveur de la limitation des naissances. Dorénavant, progrès économique et transition démographique passeront par la maîtrise du bébé chinois.

 

Au départ, le « contrôle » du bébé se fait plutôt timide. Zhou Enlai, premier ministre de Mao, parle plutôt jusqu'en 1957 de « régulation convenable de la reproduction ». De 1957 à la fin des années 1960, entre le Grand Bond et les années difficiles de la Révolution culturelle, l'application des directives en matière de limitation des naissances se fait concrètement plus soutenue, quoique encore peu coercitive. Sont encouragés à l'époque, par des méga-campagnes de promotion, le mariage tardif à 23 ans plutôt qu'à 18 ans, la stérilisation des femmes, la vasectomie et l'avortement. On en appelle à un effort commun pour contrer « la procréation anarchique de l'humanité ». Mais la résistance est grande en ville, et l'inertie est totale dans les brigades rurales confrontées à la réticence, à l'orgueil des grandes familles. Les femmes des campagnes donnent naissance à « toute une ribambelle d'enfants », dira Mao. L'un des fameux slogans d'alors, « Deux enfants c'est bien assez, un enfant c'est beaucoup mieux », tourne encore aujourd'hui à la manière d'une comptine enfantine, comme à l'époque du Petit Livre rouge – aujourd'hui empoussiéré et auquel on n'est plus obligé de se soumettre.

 

Pendant toutes ces années, la Chine perd par contre un temps précieux à freiner la croissance de sa population. Non seulement la mortalité amorce une chute rapide, nous rappellent les démographes, mais la natalité tant décriée reste très élevée. Ce sont ces enfants des années soixante qui procréent aujourd'hui et recherchent encore la descendance mâle qui, de tout temps, a culturellement assuré la pérennité de l'empire du Milieu. On ne change pas aisément une mentalité.

 

La loi des bouchées double

Dans les années soixante-dix, les autorités vont finalement mettre les bouchées doubles. De 33 à 37 pour 1 000 en 1970 (selon la source!), le taux de natalité serait tombé à 21,4 pour 1 000 dès 1979. Il en va de même pour le taux de fécondité qui, à la différence de la natalité, fait référence non à la population totale, mais aux seules femmes en âge d'avoir des enfants : on constate alors que chaque Chinoise donne naissance en moyenne à deux fois moins d'enfants à la fin qu'au début de la décennie. La politique de l'unicité, la propagande anticonceptionnelle virulente, les interruptions de grossesse tardives, pratiquées dans des conditions d'hygiène douteuses, les amendes et la réprobation sociale des contrevenants, on peut dire que le planning familial s'est alors terriblement endurci. Les coûts humains sont extrêmes. Ils sont l'image d'Épinal de l'infanticide d'État.

 

Au début des années 1980, les autorités n'hésitent pas à faire appliquer les lois par des matrones capables d'avorter des femmes enceintes de six ou sept mois. « Une femme pouvait dissimuler sa grossesse pendant quatre ou cinq mois, puis, une fois découverte, résister encore un mois ou deux à la pression de jour en jour plus intolérable des agents de la planification familiale et des voisins eux-mêmes, mobilisés pour la circonstance », rapporte Lucien Bianco. Un tiers des avortements recensés en 1982 dans la province du Guangdong, nous apprend-il également, ont été pratiqués pendant ou après le sixième mois.

 

À demander l'impossible aux couples, on les incite à désobéir. Des paysans, même appelés à se serrer la ceinture, préfèrent payer l'amende et garder l'enfant. En échange de pots-de-vin, des cadres locaux sont appelés à fermer les yeux sur des naissances illégales, surtout en milieu rural. Des médecins peuvent, contre quelques centaines de yuans, accepter d'établir un faux certificat de stérilisation. Tout le monde s'y retrouve, si bien que la coercition s'affaiblit à partir de 1984, les autorités se résignant à consentir des dérogations aux couples ruraux en mal d'enfants, et surtout de fils, entendons-nous bien.

 

Si l'aînée est une fille, les paysans peuvent dorénavant tenter leur chance une seconde fois. La question de l'infanticide est reléguée au sort de la cadette, à moins que la mère ait la force ou la faiblesse – selon notre façon de voir – de l'abandonner en vie. Pour cette raison, la plupart des fillettes qu'on trouve aujourd'hui à adopter dans les orphelinats chinois seraient des deuxièmes de famille ; ces petites Chinoises d'une diaspora nouveau genre se partagent ainsi la Chine comme une sœur aînée.

 

La loi sur les handicaps

En 1994, la loi sur « la protection de la femme et de l'enfant » va révéler au monde une part insoutenable du sort du bébé en trop. La loi interdit la naissance d'enfants porteurs d'une malformation physique ou mentale. Et hop l'échographie à la recherche du handicap... et de la petite fille, tant qu'à y être! Le journaliste Philippe Massonnet nous apprend que « le gouvernement chinois n'a pas apprécié que les médias et les médecins étrangers assimilent cette loi à la politique pratiquée par les nazis dans l'Allemagne du troisième Reich ». Tandis que Mao comptait sur la quantité pour sortir la Chine du sous-développement, ses successeurs, souligne-t-il, auront opté pour la qualité. On imagine la suite : stérilisation forcée des couples dont l'un des membres est handicapé ou alcoolique, avortement prématuré des enfants handicapés, d'autant plus facilité face à un handicap apparemment « féminin ». La loi, qui tendrait néanmoins à s'assouplir selon l'expérience récente, aura eu pour mérite de révéler qu'en Chine, comme partout ailleurs dans le tiers-monde, le sort de l'enfant difforme, mutilé ou simplement différent est particulièrement précaire.

 

La loi du marché

En bon politique, on a longtemps parlé de la différence chinoise, le paradigme économique des années 1990 commandant qu'on applaudisse la prospérité fulgurante de la Chine. Il ne s'agit pas de nier les indicateurs du marché, mais simplement de leur donner un relief qui convient mieux à l'éthique du vivant que la statistique financière.

 

En devenant un acteur accompli du commerce international, la Chine a incidemment provoqué, à même ses frontières, des déséquilibres économiques majeurs, notamment de fortes disparités régionales et de grandes inégalités socioculturelles. Plus que jamais, il y a la Chine et la Chine, une opposition entre le Nord et le Sud et un véritable clivage entre l'Est et l'Ouest. Les images qui nous sont retransmises par les médias écrits ou électroniques sont souvent celles de la côte est, opérationnelle et industrieuse, plus rarement celles du nord-ouest, où le chômage se fait si grand qu'il provoque l'exode de millions de travailleurs migrants. On sait par ailleurs qu'un groupe social défavorisé ou appauvri est moins apte à faire valoir ses droits et à se voir confronté à des idées nouvelles, notamment celles qui concernent la famille, bébé compris.

 

On peut dorénavant parler du Chinois des villes, qui communique par le cellulaire, gave, gâte et chérit son fils unique, traque les copies pirates des disques de Céline Dion, et de l'autre Chinois, qui s'adonne encore au cycle de la terre et du temps dans une pauvreté relativement inchangée par la modernité. À titre d'exemple en matière de poids et de taille au sein d'une population d'enfants de 24 à 72 mois, des données chinoises de 1990 rapportent respectivement 12 % et 28 % plus de retards de croissance sévères et modérés chez les enfants des régions rurales que chez ceux du même âge habitant la ville. À différentes échelles, les disparités s'inscrivent aussi dans le même sens que la malnutrition face à l'éducation et à l'accès aux soins de santé, sans oublier la manière de voir les traditions et les croyances.

 

Tandis que l'homme de Pékin apprivoise quelques tâches ménagères, le paysan du Jiangxi trime encore dur pour son pot de riz en enfer! Malgré ses échanges internationaux, son programme spatial, son grand barrage, une partie importante de la Chine affamée, illettrée et arriérée a encore un retard considérable.

 

La loi ancestrale

Au moment de mourir, nombreux sont encore les Chinois imperturbables qui tendent à mesurer leur vie matérielle, familiale et spirituelle par la pérennité de leur fils, seul et unique responsable de la continuité de la lignée. Ici, les enfants portent le nom du père : plus les enfants masculins sont nombreux, mieux est assurée la postérité. Le chef du clan est traditionnellement le fils aîné de la génération la plus élevée. Sans fils en Chine, on a donc peu à faire d'une fille. À 18 ans, c'est qu'on la perd, sa fille. Elle s'en va définitivement vivre et servir la belle-famille, laissant à son ou ses frères, s'il y a lieu, le soin des parents vieux et retraités. En se voyant universellement imposer un enfant unique, des millions de Chinois ont donc décidé que bébé serait un garçon. Non seulement veillerait-il sur les vieux jours de ses parents et assurerait-il leur culte après leur mort, selon la tradition confucianiste, mais il enrichirait le foyer d'une servante...

 

« Quand une fille voit le jour, écrivait Peyrefitte, qui aimait pourtant la Chine comme sa mère, les voisins ont la délicatesse de ne pas présenter de condoléances ; ils préfèrent ne rien dire ». Cette différence de traitement n'est sans doute pas propre au seul peuple chinois, mais la conséquence a toujours été plus rigoureuse chez lui que nulle part ailleurs.

 

Hors la loi

Si Shanghai et Pékin tournent le dos à ces idées ancestrales mais encore actuelles, les nouvelles disparités économiques dans lesquelles elles s'inscrivent n'ont certes pas enrayé de pareilles injustices : de riches hommes d'affaires des villes s'achètent maintenant des filles à la campagne, les obligeant à renier leur passé, question de ne pas s'encombrer de la belle-famille! Certaines de ces jeunes filles sans famille et sans papiers ont été retrouvées en sol canadien. Même épargnées à la naissance, le destin de milliers de Chinoises n'a donc jamais été aussi peu garanti.

 

En Chine, écrivait aussi Massonnet : « tout s'achète et tout se vend, même les femmes et les enfants ». La seule liberté dont puisse jouir le Chinois, c'est la liberté de consommer. « Si tu as de l'argent, tu as de la démocratie ».

 

La convention de la Haye

Pour certaines personnes, l'écrivaine Han Suyin parmi les plus célèbres, la politique de l'enfant unique doit être maintenue. En se débarrassant de la contrainte, disent-elles, il n'y aurait certes plus d'obligation d'avortements, de stérilisations forcées, certainement moins d'infanticides de bébés filles et d'abandons de fillettes mais, en lieu et place, une explosion démographique qui conduirait à une famine comme le monde n'en a jamais connue, à moins d'une révolte, à un éclatement des frontières ou à une multiplication des boat people, véritables péril jaune contre lesquels les États-Unis sont déjà en train de s'armer.

 

Pour ces tenants de la politique de l'enfant unique, la persistance du non-respect des droits des bébés filles en Chine est plutôt attribuable à la conjonction de la pauvreté et du manque de valeur sociale. La loi du plus fort et la mondialisation des marchés auquel participe le pays ne seraient pas la cause, mais la conséquence d'un projet inégalitaire mondial où l'argent seul a sa place, en Chine peut-être plus qu'ailleurs sur la planète. On reconnaît ici à la Chine, historiquement flouée par le Japon autant que par l'Angleterre, une pleine souveraineté et une autonomie suprême pour redresser ses torts et corriger ses tirs manqués.

 

Mais en prônant ici le maintien de la politique, on opte vigoureusement moins pour une lutte contre les infanticides et les ligatures de trompes policières. Une accentuation des efforts locaux et internationaux pour l'amélioration de la qualité de vie en orphelinat et de ses corollaires, adoptions locales et internationales, est-ce vraiment suffisant? À qui cela profiterait-il, sinon à une infime minorité de jeunes filles?

 

Reconnaissons que l'adoption d'un enfant venu de Chine fait le bonheur de milliers de familles en Occident. Plus de 140 000 enfants adoptés ont émigré aux États-Unis depuis 1986 ; les Américains adoptent environ 16 000 enfants par année dans le monde, principalement en Russie puis en Chine, maintenant plus encore qu'en Corée. Pour leur part, les Canadiens et les Britanniques adoptent surtout en Chine. Les Canadiens adoptent autour de 2 200 enfants par année en pays étranger, dont près de 1 000 par année au Québec, et ce dans plus de 44 pays, mais surtout, comme dans l'ensemble du Canada, en direct de Chine plus que de partout ailleurs. Le nombre d'autorisations de filiation délivrées aux parents adoptants par le Secrétariat à l'adoption internationale du Québec était, pour la Chine, de 2 162 enfants entre 1992 et 1998 au Québec seulement, de 226 enfants en 1992-1993 et jusqu'à 499 enfants en 1995-1996, puis 404 en 1997-1998, quasiment toutes des filles, quelques garçons dits « handicapés » et, jusque-là, de rares garçons sans pathologies annoncées. Puisqu'elles sont adoptées relativement jeunes, souvent avant l'âge d'un an, qu'elles ne sont généralement pas issues de la prostitution, de l'alcool, de la violence familiale, mais simplement du surnombre, ces petites Chinoises, se révèlent, pour une grande proportion du groupe, dans un état de santé extrêmement satisfaisant. La revue de l'expérience internationale, autant que la nôtre au CHU mère-Enfant Ste-Justine, en témoigne d'ailleurs clairement. La faveur et la ferveur des parents adoptants en Chine ne s'en trouvent donc aucunement diminuées.

 

Selon l'éthique inhérente à la Convention de La Haye sur l'adoption internationale, l'adoption dans un pays étranger ne devrait être envisagée « que si l'enfant ne peut être confié à une famille de son pays d'origine dans l'intérêt supérieur de l'enfant et le respect de ses droits fondamentaux ainsi que pour prévenir l'enlèvement, la vente ou la traite d'enfants ». Cette convention, entérinée par le Canada et la Chine, reconnaît donc que l'adoption internationale n'est que la dernière des meilleures solutions pour garantir le bonheur des enfants abandonnés, quels que soient les succès apparents de l'adoption en Chine par des étrangers.

 

Si les parents qui projettent adopter ou réalisent un projet d'adoption en Chine méritent le soutien total des professionnels de la santé, ils ne devraient pas pour autant croire que leur beau geste en arrive à changer les fondements de la destinée des bébés filles en Chine. L'adoption sert au bonheur des familles et de leurs enfants. Sans aucunement porter ombrage à sa portée humaine, il serait exagéré d'y voir à tout coup un humanitarisme garant du sort des bébés excédentaires. Préoccupées par ces questions complexes qui dépassent les frontières de leurs cellules familiales, certaines familles se sentiront embarrassées de participer aux rouages de l'adoption en Chine, mais des centaines d'autres, malgré les imperfections du monde, se diront tout à fait à l'aise de devenir parents d'un enfant qui, autrement, n'aurait peut-être pas survécu.

 

La convention relative aux droits de l'enfant

Pour d'autres groupes, non moins activistes mais opposés, eux, à la politique de l'enfant unique, les violations systématiques des droits de l'enfant en Chine, particulièrement ceux des bébés filles, sont une conséquence directement imputable à la limitation des naissances. Ces violations contreviennent à plusieurs articles de la Convention relative aux droits de l'enfant, notamment à l'article 19 qui fait obligation à l'État de protéger ses enfants contre l'abandon et les mauvais traitements, ainsi qu'à l'article 20 qui reconnaît « aux enfants privés de leur milieu familial, le droit à une protection et à une aide spéciale de l'État ». Il est d'ailleurs décevant que cette Convention ne soit que partiellement mise en application en Chine, comme d'ailleurs dans des dizaines d'autres pays du monde.

 

Ces groupes ont réagi notamment en 1996 à la diffusion du fameux reportage de la BBC, accompagnée de la publication d'un rapport de l'organisation Human Right Watch sur un orphelinat à Shangai. Le document de 300 pages faisait état de milliers de morts d'enfants dans les institutions publiques chinoises. Ces associations humanitaires, religieuses ou juridiques reconnaissent le problème de surpopulation en Chine et l'autorité de la Chine dans la gestion de sa démographie, tout comme les défenseurs de la politique de l'enfant unique. Elles reprochent néanmoins, beaucoup plus activement, le traitement intolérable du gouvernement chinois réservé aux filles en surnombre. Elles en appellent au devoir d'ingérence humanitaire des citoyens du monde, les Canadiens y compris, reprochant au discours officiel sur les liens entre commerce international et promotion des droits humains sa trop profonde timidité, voire son inconséquence crasse à causer enjeux économiques sans jamais aborder les engagements solennels entérinés par les États envers la personne humaine. Jean Baudrillard a une jolie façon de résumer cet état de fait : il insiste pour nous révéler que mondialisation et universalité ne vont pas de pair, que la mondialisation sert les techniques, le marché, le tourisme et l'information tandis que l'universalité, de son côté, sert les valeurs, les droits de l'homme, les libertés, la culture, et la démocratie. « La mondialisation semble irréversible, l'universel serait plus en voie de disparition ».

 

La loi du milieu

Devant le scandale des orphelinats et le sort des filles de Chine, deux sons de cloche polarisés se sont donc fait entendre et s'entrechoquent encore à tout venant : maintenir ou effacer la politique de l'enfant unique. Deux tendances qui naissent néanmoins d'une problématique commune, à savoir celle de répondre à notre question : et le bébé chinois?

Fidèle à son attitude universelle de conciliation sans provocation, l'Unicef s'engage dans le débat en 1996 en regrettant que l'amélioration du sort des enfants dans les orphelinats chinois s'effectue de manière épouvantablement lente, selon le propre qualificatif de Carol Bellamy, malgré les renseignements antérieurs sur la mort des enfants à Shanghai. La directrice de l'Unicef en profite à l'époque pour réitérer dans les médias que l'approche de l'Unicef « n'est pas de revenir sur le passé, mais de regarder vers l'avenir ». Et d'ajouter : « néanmoins, il y a un vrai problème en Chine. » Même avec les yeux de la médiation, la question du bébé chinois demeure donc sans réponse.

 

Mais dans son rapport de 2000 sur la situation des enfants dans le monde, l'Unicef, qui prend ailleurs un virage courageux et beaucoup plus vindicatif, parlant même de scandale et de honte devant la dette des pays en développement, n'abordera jamais la question du bébé en Chine. Pas un mot dans ce document, ou presque, sur le sort des bébés filles en Chine, sur le travail des fillettes en Chine, sur l'éducation des femmes en Chine, sur l'appauvrissement des adolescentes chinoises, sur la prostitution des jeunes filles et la montée du sida, sur le sort réservé aux minorités ethniques et aux femmes des régions autonomes (appréciation de l'auteur). La question du bébé chinois fait peur : si le bébé est petit, la question est complexe. On peut trouver raisonnable ou non l'attitude du Fonds des Nations Unies pour l'enfance, mais l'Unicef a pourtant le mérite de laisser la question ouverte et la route mieux carrossable.

 

Le temps comme loi

Permettons-nous ici une parenthèse comme les Chinois aiment bien le faire quand ils vous racontent une histoire en n'en faisant que le contour.

 

On connaît cette affaire de pieds bandés. De fait, pendant plus de mille ans, la Chine s'est obstinée à rétrécir les pieds des petites filles riches. Grâce à cette torture spécifiquement chinoise les dispensant des travaux plébéiens, ces enfants de bonne famille se trouvaient ainsi irrémédiablement paralysées à domicile. Cette très cruelle mode de filles pas faciles à sortir, aux pieds rabougris, mutilés puis érotisés, surnommés « lotus d'or », aurait pris naissance à la cour impériale. Simple fantaisie de harem pour les uns, l'étranglement du pied deviendrait néanmoins une véritable déformation anatomique pour d'autres. Au-delà du bon sens biologique, la contrainte devenait obligatoire pour les petites filles.

 

Dès leurs sept ans, on s'appliquait à masser vigoureusement leurs pieds. On repliait ensuite tous leurs orteils, sauf le gros, en les pressant artificiellement contre la plante pour qu'ils adhèrent chaque jour plus que le précédent, tout en prenant soin de bien empaqueter le tout dans des bandages étouffants. Les pieds étaient ensuite coincés dans des chaussures spéciales, de plus en plus étroites à mesure que les pieds se miniaturisaient. Après deux ou trois ans de sévices, les pieds avaient enfin la forme souhaitée, quelque chose comme celle d'un cône dont l'exquise beauté faisait la joie des esthètes. Les pieds handicapés recouverts de pantoufles brodées et parfumées étaient sans pareil pour exciter la curiosité sexuelle.

 

À mesure qu'on avançait dans le XXe siècle, les questions sur la coutume se bousculaient et les réponses justifiant la curieuse pratique se raréfiaient. Pourquoi les pieds bandés? Pourquoi torturer les petites filles? Tant et si bien que des politiques qui datent de 1920 environ auront heureusement eu raison de cette perversité. De fait, dans les années soixante, Zhou Enlai faisait déjà référence à la pratique comme d'une bien vieille coutume du passé.

 

L'histoire est très chinoise, bien entendu, mais elle illustre l'intérêt de poser sans répit une question qui demeure si longtemps sans réponse que le problème paraît ne plus exister ou ne plus intéresser personne.

 

Teilhard de Chardin disait de la Chine que « c'était un bloc plastique et immobile ». Notre incapacité à la comprendre ne viendrait-elle pas de son immobilisme fondamental qui s'oppose à notre idée de la course vers le futur? L'auteur Guy Sorman rétorquerait par ailleurs « que bien des intellectuels chinois... réfutent absolument ce relativisme culturel ». Y a-t-il vraiment une façon chinoise inéluctable? Y a-t-il vraiment une manière empire du Milieu de penser aux impératifs sociaux plutôt qu'aux droits individuels? Le proverbe vietnamien « Un Chinois est un Chinois », est-il un non sens?

 

Violentée plus souvent qu'à son tour et cible de tous les impérialismes politiques, religieux, économiques, la Chine demeure malgré tout une petite fille, nous révélant une nature humaine qu'on ne croyait pas si mal connaître. Pour cette seule raison, il faut aimer la Chine. Elle en dit long sur ce que nous sommes et sur les enjeux qui sous-tendent la vie civique aussi bien que la pratique clinique du médecin appelé à soigner des enfants chinois. Proposition : posons donc à la Chine notre question comme un pédiatre la poserait à une vraie petite fille, c'est-à-dire sans attendre obligatoirement de réponse : Et le bébé chinois?

 

 

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Dernière révision: février 2014

 

 

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