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Télévision, jeux video, téléphones intelligents, videos, Internet, reseaux sociaux & cie ainsi que des textes de Le monde est ailleurs.

 


 

Photo LMEA Petite fille & ordi, New-York, Etats-Unis 2011

 

 

VIOLENCE À L’ÉCRAN

Le syndrome du grand méchant monde

2015

 

Par Jean-François Chicoine

Le monde est ailleurs, Québec, Canada, 26 aout 2015

 

 

La question du pour et du contre la violence à la télévision date… d’avant la naissance de la télévision!

 

Elle ne sera jamais tout à fait réglée, mais du millage on a pu y faire depuis les années 1970.

 

Entre la liberté d’expression médiatique et le droit des enfants à être protégé des agressions psychiques, il nous a fallu inclure dans le discours l’importance de la médiation parentale, d’autant plus incontournable chez les enfants à risque, anxieux, isolés, malheureux, déjà atteints de troubles comportementaux.

 

Les enfants qui regardent trop jeunes, avant leurs 2 ou 3 ans, ou qui regardent trop la télévision, et qui plus est une télé qui n’est pas de leur âge, ont tendance à devenir plus agressifs, moins coopérants, plus anxieux, plus insomniaques, plus défaitistes, plus insensibles aux détresses de leurs proches.

 

Ce n’est pas vrai pour chacun d’entre eux. Les plus en santé et les mieux accompagnés n’en souffriront pas. D’où le sempiternel débat : c’est que la corrélation statistique en matière de violence à la télé est claire, mais pas majeure. Il y a pire.

 

La tendance est par ailleurs magnifiée chez les enfants déjà à risque, en raison de facteurs individuels, santé mentale ou TDAH ou autre, ou sociétaux, communautés culturelles, séparation parentale, pauvreté ou autre. On pourrait dire un enfant sur trois.

 

Ces enfants tout spécialement victimes de notre culture audiovisuelle mortifère et sadomasochiste finissent par concevoir le vrai monde comme un endroit où ils doivent s’exprimer avec violence, subir de la violence ou gérer de la violence. C’est ce que Grebner appelait « le syndrome du grand méchant monde », dans lequel le tout-petit arrive à se forger graduellement une conception de la vie quotidienne plus apparentée à MAD MAX qu’à celle de PAPA A RAISON.

 

Mais il y a pire, et je vous avais prévenu : les jeux vidéo (JV).

 

Un abus de de JV, un JV inapproprié pour l’âge, un contenu particulièrement intrusif genre « first person shooter » augmentent les émotions agressives à court/long terme, les actions agressives, les pensées et intentions agressives, l’isolement et le retrait affectif, non pas exclusivement chez les enfants à risque, mais chez TOUS les enfants et les adultes qui s’y vautrent trop ou mal ou de travers.

 

D’accord, le virtuel n’est pas le mal absolu. Il est aussi l’univers des possibles, du merveilleux, de la créativité et nous en reparlerons d’autant qu’il nous faut dorénavant vivre, grandir, travailler et baiser avec.

 

Mais il peut faire figure de reine de la nuit pour nombre d’enfants mal accompagnés, c’est ce que je veux rappeler.

 

Vous le saviez déjà, oui, mais alors quoi?

 

Pourquoi écouter les infos sur une décapitation par EI avec sa petite fille de 5 ans? Pourquoi inscrire ses jumeaux de 11 ans à Facebook? Pourquoi jouer à CALL OF DUTY avec son petit gars de 13 ans?

 

Ségolène Royal citée dans Ségolène contre les audimateurs (Le Nouvel Obs. 27 avril-3 mai 1989) :« Doit-on montrer aux petits enfants des femmes qui se font enculer en gros plan?

 

Je ne veux pas censurer, je veux seulement qu’on passe ces films et ces feuilletons un peu plus tard. Où est l’atteinte à la liberté? Le libéralisme télévisuel sans frein, c’est une thèse pour riche. Et qu’on ne me parle pas de culture. »

 

Face à l’hérésie cathare, me rappelait mon ami et collaborateur Grégoire Viau, l’abbé Arnaud Amauric, aurait eu cette belle phrase que connaissent tous les écoliers français : « Tuez-les tous ! Dieu reconnaîtra les siens!... » En 1209, ce gentil prêtre venait d’inventer la règle de base des jeux vidéo.

 

Nous sommes tous complices, là n’est plus la problématique. Soyez par ailleurs aux premiers rangs pour accompagner et dialoguer avec l’enfant sur ce qu’il voit, qu’il imite, sur ce qui le désensibilise ou le terrorise. Si les médiateurs adultes, des parents présents et des éducateurs au poste, invitent la jeunesse à réduire ses angoisses autrement que par la violence, les risques seront considérablement diminués…

 

Ce soir à table, le poste de télé évidemment fermé, ainsi que les IPad, iPod et téléphone dits intelligents, risquez-vous…

 

« Moi aujourd’hui, j’ai vu une image qui m’a jeté par terre : la voici (adapté à votre public)…Toi aujourd’hui, est-ce que tu as vu une image dont tu aurais envie de parler?

 

Je t’écoute. »

 

 

ÉCRANS & ADOLESCENCE

Le jugement n'est pas sur l'écran

2015

 

Par Jean-François Chicoine

Le monde est ailleurs, Québec, Canada, 25 aout 2015

 

Après sa famille, l’école est la mieux placée pour développer l’esprit critique des enfants. Elle aide même les jeunes adolescents à développer un point de vue critique, et constructif, sur leur famille.

 

Mais pour pouvoir analyser et commenter une information nouvelle, il nous faut pouvoir disposer d’une base de données.

 

Cette base de données, et qui fera de nous quelqu’un d’intéressant ou de pertinent ou de séduisant, est située dans notre cerveau. Y participent des formations comme l’hippocampe et notre cortex frontal.

 

En l’absence de connaissances déjà stockées dans nos méninges, nous disposons également de sources externes formidablement utiles pour documenter notre opinion : les livres, une conversation amicale, une question à un prof et aussi…le WEB.

 

On aurait cru que l’avènement des nouvelles technologies aiderait à approfondir les opinions de la jeunesse.

 

De fait, pour nombre d’adolescents, le WEB remplit à merveille sa fonction de mémoire collective externe. Des peuples entiers, en Tunisie par exemple, on peut mieux forger leur pensée grâce à la toile et enfin accéder à une opinion démocratique.

 

Malheureusement, dans quelques publications d’envergure, l’accès facilité à la technique n’aurait pas facilité « la capacité générale des adolescents à trouver, classer et comprendre les informations ».

 

Selon un avis de l’Académie des sciences de France, « les jeunes ont même quelques lacunes quant aux méthodes de recherche de l’information et privilégient la rapidité d’obtention du contenu au détriment de la qualité, sans développer d’esprit critique à propos de ce qu’ils trouvent sur la toile. »

 

Vous pouvez surfer des heures sur le WEB sans utiliser autre chose que votre mémoire à court terme, celle qui dure moins de 30 à 40 secondes. Cette mémoire à court-terme ne contient malheureusement pas tous les éléments essentiels à l’analyse. Des connaissances enfouies dans la mémoire à long terme sont nécessaires à solliciter pour émettre intelligemment le fruit de sa pensée. Pour alors compenser le manque de substrat, trop d’informations devant être sollicitées sur des supports externes ont tôt fait d’encombrer la mémoire de travail permettant d’opérer.

 

Conséquence : une opinion bâclée, mal documentée, impertinente ou potentiellement intimidante.

 

Une grande partie des conflits naissant sur le WEB, dont l’humiliation et l’intrusion chez les jeunes, prennent naissance dans des mémoires encombrées sur des bases de connaissance appauvries. Le cerveau le plus primitif se trouve alors légitime d’agir.

 

Quand un adolescent n’a rien à dire, il s’exprime. Pour son plus grand malheur et celui des siens.

Ainsi donc, malgré la disponibilité croissante de toutes nos bases de données, il faut pouvoir se répéter que sans l’éducation, nous n’arriverons à rien.

Bonne rentrée scolaire.

 

Sans l'école, Google est obsolète, et dangereux. Plus que jamais, quand l'école n'est plus considérée comme une denrée essentielle.

 

 

ÉCRANS & ENFANCE

Armes de distractions massives

2015

 

Par Johanne Lemieux, travailleuse sociale & psychothérapeute

Le monde est ailleurs, Québec, Canada, 22 aout 2015

 

Plusieurs professionnels de l’attachement sonnent présentement l’alarme. Celle du danger que représente la technologie omniprésente sur la fabrication d’un lien attachement sécurisé entre les enfants d’aujourd’hui et leurs parents.

 

Vous serez probablement surpris de lire qu’il ne s’agit pas de la technologie utilisée par les enfants eux-mêmes, comme les jeux vidéo ou les tablettes tactiles. Non, il s’agit du danger de la technologie constamment utilisée par leurs parents en leur présence.

 

Prendre ses textos en allaitant? Mauvaise idée. Difficile de s’accorder au regard de maman dans pareil contexte.

 

Dans un article récent, le psychologue américain Ron Taffel écrit :

 

« Nous voyons dans nos bureaux de consultation une génération d’adolescent plus anxieux, stressé que les précédentes… Ce sont des enfants qui ont reçu de l’amour, mais une attention agitée, fragmentée et distraite de la part de leur parent.

 

Même quand leurs parents se donnaient la peine d’être physiquement présents, ils étaient trop occupés à consulter leur téléphone ou à travailler à la maison sur leur appareil électronique, pour assurer une qualité de connexion affective suffisamment intense et longue pour créer un attachement sécurisé. »

 

Quelle situation paradoxale!

 

À une époque où les parents sont plus investis que jamais dans le bonheur de leurs enfants, ils leur offrent une multitude de petits vidéoclips d’attention, de connexions plutôt que le long métrage parental dont le cerveau de l’enfant a tant besoin pour se programmer dans la sécurité. Les cas d’enfants anxieux et dépressifs pourraient bien augmenter du simple fait qu’ils n’ont pas été suffisamment apaiser par une connexion affective suffisante et constante. Leur affect est morcelé.

 

De son côté, le psychologue canadien Gordon Neufeld en constate les effets pervers à long terme sur les relations parent-adolescent.

 

Dans son excellent livre : Hold on to your kids, Il explique que les parents sous-estiment l’impact négatif de leur propre utilisation constante des technologies sur l’estime de soi de leur rejeton.

 

Que comprend donc un enfant qui voit ses parents prendre plus de temps et surtout de plaisir à regarder leurs messages textes 50 fois par jour, que de le regarder dans les yeux?

 

Il ne faut surtout pas en conclure qu’il faut interdire aux adultes et aux enfants les avantages réels de ces outils. Un parent et un enfant peuvent vivre des moments intenses de connexions affectives et de complicités en jouant ensemble sur une tablette ou en allant faire des recherches à deux sur internet pour un travail scolaire.

 

C’est une question de jugement et d’équilibre et de dosage et de régulation et de participation.

Les écrans participent à la vie. Ils ne sont pas une substitution.

 

RÉFÉRENCES


Taffel, Ron : The rise of the two-dimensional parent : are thérapist seeing a new kinf of attachment ? dans la revue Psychotherapy Network, septembre- octobre 2014, page 19

 

Neulfeld, Gordon, Retrouver son rôle de parent, les Éditions de l’homme, Montréal 2005

 

JEUX VIDÉO

Introduction à coups de hache et d’épée

2007

 

Par Grégoire Viau, chroniqueur

Montréal, Québec, Canada

Avec Le monde est ailleurs

Dernière révision : 12 novembre 2007

 

Aux barons du nord venus dans le Languedoc-Roussillon pour réprimer l’hérésie cathare dans la croisade des Albigeois, l’abbé Arnaud Amauric, légat du pape Innocent III, aurait eu cette belle phrase que connaissent tous les écoliers français : « Tuez-les tous !  Dieu reconnaîtra les siens!... » En 1209, ce gentil prêtre venait d’inventer la règle de base des jeux vidéo.

 

Si les cathédrales, avec leurs peintures, leurs statues et leurs vitraux, servaient jadis à impressionner les masses analphabètes en leur racontant des histoires qu’ils ne sauraient pas lire, les jeux vidéo sont le refuge spirituel des jeunes d’aujourd’hui, où ils peuvent échapper à la médiocrité d’un quotidien trop douillet et prétendre être un autre.

 

Faites-en l’expérience, c’est le petit jeu que nous vous proposons :   

 

Expérience vidéo

Voici le jeu :

 

A)       

Vous êtes un guerrier du village de Tristram et vous devez combattre le démon Diabolo qui hante les vieux souterrains du village. Avec votre hache et votre épée, vous êtes programmé Hack’n slash : vous devez « trancher et fendre » tout ce qui bouge devant vous.

 

B)       

Étudiant en parapsychologie, vous êtes mort, mais ressuscité par la magie d’un masque aztèque, et vous devez retrouver la belle Jennifer, égarée dans le manoir du Dr West.  Vous êtes programmé Beat them all : vous devez abattre un grand nombre d’ennemis qui vont surgir devant vous.

 

C)

Vous êtes un super Space Marine déporté sur Mars pour avoir assommé un officier de la Union Aerospace Corporation, le complexe militaro-industriel qui dirige le monde, parce qu’il voulait massacrer des civils innocents.  De là, vous devrez combattre les créatures de l’Enfer qui font du grabuge sur le satellite Phobos.  Vous êtes programmé FIrst Person Shooter : c’est vraiment vous qui tirez. 

 

D)

Vous êtes un plombier en salopette bleue et vous devez sauver la princesse Peach qui a été enlevée par des forces démoniaques du méchant Bowser. Vous êtes programmé Plate-Forme : il vous faut de bons genoux, car il y a pas mal d’obstacles à surmonter.

 

E)

Vous êtes une maman et vous attendez à l’urgence de l’hôpital Sainte-Justine que votre garçon de 12 ans, qui s’est blessé dans une bagarre en tentant de mettre la main sur la dernière console de jeux disponible au magasin d’électronique, obtienne le résultat de ses radiographies. Vous êtes programmée Hurry Up and Wait : il faut se dépêcher d’arriver à l’hôpital, et attendre longtemps avant d’être servie…

 

Dans laquelle de ces situations vous n’êtes pas dans un jeu vidéo ?

 

Une industrie colossale

L’industrie des jeux vidéo rapporte désormais davantage que celle du cinéma : le jeu et la console coûtent plus cher qu’un billet de théâtre et les Sony, Electronics Arts, Nintendo et autres éditeurs de jeux n’ont pas de cachet faramineux à payer à l’acteur principal, puisque l’acteur principal, c’est vous…  les coûts de production en sont considérablement diminués.

 

La cote, pas la cote

Les jeux vidéo ont la cote, n’ont pas la cote, ils ont la cote.  C’est-à-dire :

 

1)

Qu’ils plaisent aux jeunes,

 

2)

Que quelques parents pacifico-hippies aimeraient bien qu’on découvre qu’ils provoquent l’épilepsie et que le gouvernement les interdise,

 

3)

Que certains experts pensent qu’ils ne sont peut-être pas si mauvais pour la santé : après tout, les jeux vidéo ne sont pas très loin des outils expérimentaux  pour traiter des phobies et des troubles sensoriels.  Les plus violents auraient même un effet bénéfique sur la vue ! 

 

Un (seul) petit problème de santé ?

Mais le principal problème de santé associé aux jeux vidéo est de taille : à force de rester collés, bouche ouverte, à leur écran, nos enfants avalent des mouches grasses et deviennent obèses.   

 

Sinon, il semblerait que dans la société, les comportements violents engendrés par l’extrême violence des jeux seraient extrêmement rares. On est dans le virtuel, mais pour l’imagination, on repassera !  Et dire que « logiciel », en anglais, se dit soft… Doux… comme du coton. 

 

Dans le beau film « Soldats à vie» (Boot Camp Nation), de la cinéaste Sofi Langis, le jeune Harel est un conscrit de l’armée israélienne envoyé au front du Liban, en 2006. Devenu pilote de guerre, il réalise un rêve d’adolescent.  Mais.  « Tu te crois dans un jeu vidéo.  Mais quand tu appuies sur le bouton, il se passe vraiment quelque chose ».  Comme Orphée, Harel est passé à travers l’écran, pour retomber dans l’autre réalité : celle du réel…  Où il y a une vraie bombe au bout du joystick, qui tue de vraies personnes.

 

Armé d’un Guncon, et faisant gicler le sang à la moindre pression de la gâchette, êtes-vous dans le réel ou dans le virtuel ? La question est posée par la chercheure de l’université du Québec Maude Bonenfant,  qui malgré son nom, s’intéresse de très près aux jeux vidéo. 

 

SOURCES 

 

Wikipedia, portail des jeux vidéo

 

Green, C. S. et Bavelier, D. Action video game modifies visual selective attention Nature, vol 429, mai 2003

 

« Soldats à vie » par Sofi Langis, produit par Cojak  (2007). 

 

 

JEUX VIDÉO

L’expérience réelle des jeux vidéo

2007

 

Par Maude Bonenfant, doctorante et chargée de cours

Université du Québec à Montréal, Québec, Canada

Avec Le monde est ailleurs

Extrait de www. servicesvie.com/ Transcontinental

Dernière révision : 16 décembre 2007

 

On s’inquiète parfois de la violence des jeux vidéo et des possibles effets qu’ils pourraient avoir sur leurs jeunes utilisateurs influençables. Mais les amateurs de vidéoludisme sont-ils aussi sanguinaires que les personnages des consoles de jeu  qu’ils manipulent ? Le jeu est un exutoire, une soupape, disent ses défenseurs. Et puis on n’est pas dans le réel, on est dans le virtuel : c’est vrai, on est dans le faux, on n’est pas dans le vrai... vraiment ?

 

Les jeux vidéo sont dits « virtuels ». En effet, ils possèdent  une part de virtualité, mais la signification originelle du mot « virtuel » est ici détournée. Ceci a donc des conséquences majeures sur le jugement posé sur les jeux vidéo : le « virtuel » est généralement opposée à la « vraie » vie... Or, d’un point de vue étymologique et philosophique, les jeux vidéo ne sont qu’en partie virtuels. Le reste est vrai, pour de vrai.

 

Un cédérom d’un jeu, pris dans une main, représente un jeu vidéo virtuel. Seulement, à partir du moment où le cédérom est inséré dans l’ordinateur et que le joueur navigue dans le jeu, le monde et le jeu ne sont plus virtuels, mais bel et bien réels :  la pratique ludique actualise le jeu vidéo dans un monde réel.

 

Le mot « virtuel » provient du latin scolastique virtualis, qui veut dire « qui n’est qu’en puissance ». Donc, ce qui n’a pas lieu, selon le philosophe Gilles-Gaston Granger : qui peut prendre une forme, mais qui n'a pas forme pour le moment. Selon le philosophe Gilles Deleuze, d’un côté, nous aurions le virtuel et le possible, de l’autre, nous aurions l’actuel et le réel. Le virtuel ne s’oppose pas au « vrai » (comme « la vraie vie » versus « le monde virtuel »), mais s’oppose à l’actuel.

 

Le corps est bien dans le réel, lui

Le possible se réalise dans la matière ou dans les corps, alors que le virtuel se présente plutôt comme une puissance créatrice illimitée qui s’actualise dans des individus sous forme de pensée ou d’imagination. Le monde peut être actuel (pensé et imaginé) sans être réel (perçu et ressenti), mais à partir du moment où le corps est engagé, le monde est réel.

 

Mais il y a toujours une part de virtualité dans les jeux vidéo, comme dans la vie. « Le virtuel possède une pleine réalité » (Deleuze, Différence et répétition, p.269) : le virtuel peut avoir des effets sur le réel parce qu’il est une structure qui fait partie du réel. Cette structure, c’est ce qui est en puissance dans le virtuel. Deleuze donne l’exemple de l’idée de chenille qui est virtuellement présente dans la larve. La virtualité est donc toujours présente dans la vie et pas seulement dans les jeux vidéo !

 

Les  joueurs non seulement ne jouent pas uniquement dans leur tête (actualisation), mais performent en plus le jeu avec leur corps (réalisation). Ils touchent des machines bien physiques, pressent des boutons, voient des influx lumineux et entendent des sons ; ils interprètent ces signes visuels, auditifs, linguistiques ou autres ; ils sont affectés par les jeux vidéo et les affectent en retour ; ils ressentent des émotions quand ils jouent. Leur esprit et leur corps sont nécessaires à l’actualisation et la réalisation des jeux vidéo et l’expérience qu’ils en font est bien réelle... surtout pas virtuelle ! D’autant plus les jeux vidéo sont interactifs :  le corps est engagé dans l’activité ; les jeux vidéo seraient-ils alors plus réels que le cinéma où il n’est pas question d’interactivité ? Pourquoi ne parle-t-on pas de « mondes virtuels » dans les films ?

 

On corrige et on reprend

En fait, cet usage erroné du mot « virtuel » dans la langue française proviendrait probablement de la mauvaise traduction du terme anglais virtual qui veut tout simplement dire « quasi ». Ainsi, la traduction de virtual reality ou virtual world devrait être « quasi-réalité » ou « quasi-monde ». C’est ce qu’énonce J.P. Papin, cité dans Le traité de la réalité virtuelle (p.5) : « en anglais, virtual signifie "de fait", "pratiquement". La traduction française ne rend donc pas compte de cette signification. Il aurait fallu parler de tenant lieu de réalité ou de réalité vicariante ou mieux encore d’environnement vicariant [qui remplace]. »

 

De vrais rapports avec de vrais autres

De la même manière, les rapports sociaux engagés dans les jeux vidéo en réseau ne sont pas « virtuels » ou, du moins, ne contiennent pas plus de virtualité que les rapports sociaux en dehors de l’univers du jeu vidéo.

 

Ce ne sont pas les personnages des jeux vidéo qui entrent en relation, mais bel et bien les joueurs, grâce à leur personnage : le personnage n’est qu’un outil communicationnel et une instance du jeu. Ce n’est pas parce que la relation est médiatisée par le jeu vidéo que l’amitié sera « moins amitié » qu’une rencontre à l’extérieur du jeu. Le fait de voir le visage de la personne n’entraîne pas nécessairement une communication basée sur la vérité. Tout le monde sait que des rapports très superficiels et parfois mensongers peuvent avoir lieu tous les jours avec, par exemple, un collègue de bureau...

 « Shoot Them All » and Be Their Friends

 

Descendez-les tous et faites-en vos amis… En fait, les rapports sociaux dans les jeux vidéo peuvent être basés sur la « vérité », malgré le support du jeu : doit-on dire de celui qui prétend être un elfe dans un jeu vidéo qu’il est un menteur ? Bien sûr que non, puisque le joueur répond ainsi à la règle du jeu et tous les joueurs s’entendent sur cette règle.

 

Bien que le jeu vidéo puisse prédisposer à certains types d’interactions sociales, de vraies amitiés peuvent tout à fait naître et/ou grandir dans le contexte vidéoludique. L’implication affective, surtout pour les joueurs passionnés qui passent des heures dans l’univers du jeu, peut être basée sur les mêmes valeurs que les amitiés vécues dans d’autres contextes. D’ailleurs, nombreux sont les joueurs qui communiquent ensemble à l’extérieur du jeu et qui, même, se rendent visite d’un pays à un autre...

 

Et si le jeu vidéo était, finalement, une occasion de socialiser ? De socialiser pour vrai.

 

SOURCES

 

Granger, G.G. (1995). Le probable, le possible et le virtuel, Paris, Éditions Odile Jacob.

 

Deleuze G. (1968). Différence et répétition, Paris, PUF.

 

Fuchs P. et al (2003). Le traité de la réalité virtuelle, 4 t., Paris, Les Presses de l’École des Mines.

 

 

JEUX VIDÉO

Le monde « sérieux » des jeux vidéo

2007

 

Par Maude Bonenfant, doctorante et chargée de cours

Université du Québec à Montréal, Québec, Canada

Avec Le monde est ailleurs

Extrait de www. servicesvie.com/ Transcontinental

Dernière révision : 13 novembre 2007

 

 

Le jeu vidéo a souvent mauvaise presse dans notre société. Outre le fait que les jeux vidéo soient qualifiés d’univers hors de la « vraie vie », ils sont associés à une perte de temps, principalement chez les adultes. Si les enfants peuvent jouer, les adultes, eux, doivent travailler. Amateurs de ludiciels, soyez sérieux… Devenez joueurs professionnels ! 

 

Dans le domaine du jeu vidéo, certains joueurs commencent à gagner leur vie en jouant. Ils deviennent les champions de tournois lucratifs, testent des jeux pour des compagnies ou vendent des objets pixellisés gagnés dans les jeux. L’univers du jeu vidéo est une industrie gigantesque (elle a dépassé l’industrie cinématographique en terme monétaire) et plusieurs joueurs vivent désormais grâce à la pratique du jeu. La définition du jeu ne doit donc pas se baser sur sa distinction avec le travail, pas plus que sur la notion de plaisir : la pratique de certains jeux est extrêmement exigeante ou peut même devenir désagréable.

 

Le professeur Malaby nous rappelle que cette distinction entre le travail et le jeu n’est que culturelle et qu’elle a servi à justifier la mise à l’écart du jeu par rapport au monde « sérieux ». Pourtant, même dans l’Occident moderne, des exemples peuvent être apportés où la distinction « monde ludique » / « monde du travail » n’est pas respectée : ainsi du sport professionnel. Les joueurs de hockey gagnent leur vie... en jouant au hockey.

 

Les bienfaits des jeux vidéo ?

Les perceptions commencent à changer par rapport aux jeux vidéo. Les scientifiques commencent à leur découvrir des bienfaits directs : développement de réflexes ou de certaines aptitudes cognitives, applications thérapeutiques (par exemple, simulation de foule pour aider un agoraphobe), apprentissage de métiers ou de tâches (en aviation, mais aussi en médecine ou dans la gestion de personnel), usages des jeux vidéo en éducation, etc. Même l’O.N.U. s’en sert pour promouvoir l’aide humanitaire. Des parents s’y adonnent aussi : n’oublions pas que la première génération de joueurs a fêté ses quarante ans !

 

La nouvelle drogue

Reste que les jeux vidéo présentent des dangers bien réels : ils peuvent causer une dépendance aussi forte que la drogue ; ils peuvent véhiculer des valeurs négatives pour les enfants dont les schèmes de pensée ne sont pas encore formés ; ils causent, directement ou indirectement, l’obésité ou d’autres problèmes de santé liés à l’inactivité et à une mauvaise alimentation, etc.

 

En somme, tout abus est néfaste, qu’il s’agisse de jeux vidéo, de sport ou de surconsommation de fruits, et la réponse à bien des maux demeure souvent l’éducation et la modération. Et si vous êtes amateur de jeux de combat, sachez qu’après avoir éviscéré quelques centaines d’ennemis, une petite marche au grand air vous fera le plus grand bien. Vous penserez ainsi à toutes vos belles victoires sur les forces infernales du Mal, comme les vieux poilus qui se remémoraient le bon temps de 14-18 : « Qu’est-ce qu’on leur a mis à ces Fritz ! Ça, c’était la vraie guerre ! »

 

SOURCE

 

Malaby, Thomas M. (2007). " Beyond Play: A New Approach to Games",  Games & Culture, Sage publications, April vol.2, no 2, pp.95-113. Forthcoming Available at SSRN: http://ssrn.com/abstract=922456

 

 

WEB/ MÉDIAS

La nutrition dans les médias

2007


Par Marie Watiez Ph. D. Psychosociologue de l’alimentation

Avec Le monde est ailleursExtrait de Servicevie.com/ Trancontinental

Dernière révision : 7 décembre 2007


Épidémie d’obésité, de grippe aviaire, dangers mortels des frites et autres suppôts de la « malbouffe » ; contraintes de temps ; prescriptions d’aliments « anti-ceci » ou « pour cela ». Garder la ligne ou la retrouver à n’importe quel prix… Oups ! Remonter vers le poids-santé… Des informations se croisent et se contredisent...


L’environnement alimentaire de notre époque nous confond, nous stresse et nous culpabilise. Analysons ce contexte et changeons d’attitude pour retrouver une relation de plaisir avec la nourriture !


Que ce soit en chassant ou en cueillant, se procurer de la nourriture était jadis un acte quotidien de survie. Avec le temps, la saison, la famille, la religion, la culture et même la politique ont fini par dicter les rythmes des repas et le contenu de l’assiette.


Bouleversement de l’alimentation

La révolution industrielle a transformé nos habitudes à table. On mange moins en famille, plus souvent en solitaire, rapidement sur le pouce, à des heures très variables et en dehors de chez soi. Dans l’organisation actuelle de l’économie, l’offre alimentaire est immense. Même si dans nos pays riches certains vivent des situations dramatiques d’insécurité alimentaire, la modernité nous a libérés de l’angoisse de l’assiette vide. Mais la variété, l’abondance, le manque de temps et la perte de repères sociaux compliquent nos choix alimentaires. Nous vivons dans la situation paradoxale de l’environnement « obésogène » : sédentarité croissante et diminution des dépenses énergétiques versus augmentation de l’offre alimentaire. On a accès en tout temps à une abondance de produits variés et abordables. Une première dans l’histoire de l’humanité, tout comme les paradoxes qui l’accompagnent.


Trop-plein d’informations

Une étude du Groupe de recherche média et santé de l’UQAM révèle que l’information en santé et en alimentation dans les médias québécois s’avère redondante, contradictoire et ambiguë. Le public interrogé est saturé. Il garde une impression de survol et se sent confus face aux multiples points de vue. En conséquence, il reconnaît nier certaines informations : rappelant la théorie de la « dissonance cognitive », les auteurs constatent que pour rester en accord avec son mode de vie et apaiser sa confusion, le consommateur garde en mémoire uniquement les éléments justifiant son comportement : par exemple, ce type d’argument commercial annonçant « 0% gras trans dans les chips » ! Le marketing sait très bien inciter le consommateur aux actes coupables, en le déculpabilisant. Entrecoupant le chant des sirènes publicitaires, le cri des Cassandre de la santé publique nous rabat quotidiennement les oreilles avec les conséquences critiques de la sédentarité et des mauvais choix alimentaires. Cette cacophonie médiatique est d’ailleurs en partie tenue responsable de l’augmentation du « syndrome de stress alimentaire », lequel, à une autre époque, nous aurait sans doute poussés à boire.


Culte de la minceur

On ne peut parler de modernité alimentaire sans évoquer le culte du corps, l’idéal de minceur et la pression contre la grosseur. La mode, les médias, la publicité diffusent des stéréotypes féminins de beauté et de performance associés à la minceur. Et les hommes sont de plus en plus visés. Du modèle de minceur à l’environnement obésogène, les pressions esthétiques et médicales contribuent à la préoccupation excessive à l’égard du poids.


Vision plus optimiste du mangeur moderne

Pour sortir de cette attitude pessimiste, observons tous ces consommateurs, notamment au Québec, en quête de qualité tant pour les papilles, la culture, le lien social que la santé. On note maintenant un souci du maintien de la convivialité, des traditions locales, une ouverture vers le terroir et les cuisines d’ailleurs. La popularité des magazines et émissions culinaires, des cours de cuisine et des sites de recettes montrent ce besoin de retrouver les joies de la cuisine. On voit émerger divers mouvements en faveur de la qualité de l’alimentation et de la production agricole, notamment pour les produits biologiques. Et même la valorisation des divers formats corporels chez la femme et la conscience des effets néfastes des régimes amaigrissants sont de plus en plus connus dans le grand public.


Tous ces intérêts témoignent de la nécessité de remettre au goût du jour les plaisirs de manger.


Relation de plaisir avec la nourriture

Manger, c’est bien plus que se nourrir. C’est rechercher un équilibre tant énergétique et nutritionnel que sensoriel, psychologique et socioculturel. Pour atteindre cet équilibre, les bienfaits de la nature ont gratifié cet acte d’un atout considérable : le plaisir ! On pourrait même parler DES plaisirs de manger.

Pensez d’abord au plaisir gustatif avec les simulations sensorielles des cinq sens. Profitez du plaisir nutritionnel, cette sensation physique agréable d’être en forme et bien nourri. Appréciez le plaisir de la satiété, sensations d’apaisement de la faim et du ventre juste plein sans inconfort. Prenez le temps de ressentir le bien-être psychologique lié au réconfort et la détente d’un agréable repas. Savourez la convivialité et le partage du plaisir social.

Et le plaisir de cuisiner ? Quel bonheur de créer ! Redécouvrez la joie des rituels familiaux et communautaires qui nourrit le besoin d’appartenance. Et pour finir n’oubliez pas le plaisir du sacré qui nous relie à la vie, à la nature et au sens de cet acte vital et universel. Cette attitude hédoniste est une précieuse clé contre le stress et la culpabilité. Bon appétit !

SOURCES

 

Renaud, L., Caron-Bouchard, M. et coll., Comment le consommateur s’y retrouve-t-il dans l’ensemble des messages en matière d’alimentation et de santé ? Pour une politique alimentaire canadienne, compte-rendu du Colloque Qu’est-ce qu’on mange? Institut d’Études canadiennes, Université Mc Gill, pp. 39-45, 2006.

ISA-Conseil en Nutrition, Le syndrome de stress alimentaire 2007.

http://isa-nutrition.com/GAN-RESUME-ETUDE2007.pdf Consulté le 27 octobre 2007

Bérubé, S., L’assiette des Québécois, La presse, 3 mars 2007.

Psychologies Hors-Série, Retrouver le plaisir de Manger, n°9, Avril - Mai 2007.

http://www.psychologies.com/cfml/articleweb/c_articleweb.cfm?id=5759

M-F. Lalancette, Adieu régime, bonjour la vie ! Pour en finir avec le culte de la minceur, Montréal, Éditions de l'Homme, 2007.

ÉquiLibre, Groupe d’Action sur le Poids, Les problèmes de poids. http://www.equilibre.ca/?page_id=82 Consulté le 25 octobre 2007

 

 

 

Photo LMEA Télévision, Québec 1956

 

 

 

 

Photo LMEA Téléphones portables, Tokyo, Japon 2004

 

 

 

 

Photo LMEA En ligne, Vietnam 2004

 

 

 

 

Derniere révision: février 2016

 

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